Un auteur doit-il garantir l’éditeur d’un texte qu’il met à jour ?
Aussi surprenante qu’elle puisse paraître, une telle question a émergé dans un contentieux entre un auteur et son éditeur, contentieux porté devant la Cour d’appel de Nancy[1]. Dans sa décision du 10 mai 2021, celle-ci conclut logiquement à l’absence de garantie pesant sur un auteur vis-à-vis d’un texte soumis par son éditeur en vue de sa mise à jour, malgré l’absence d’accord des ayants droit de l’auteur de l’œuvre première. La garantie de l’originalité d’un manuscrit remis par un auteur à un éditeur ne peut pleinement jouer sur une œuvre composite lorsque l’œuvre première est soumise par l’éditeur lui-même.
Le litige, exposé par ailleurs, opposait un auteur à son éditeur. Ceux-ci s’étaient initialement entendus par le biais d’une lettre-contrat, avant qu’un avenant ne soit signé entre les deux parties. Le travail confié à l’auteur consistait à dactylographier un manuscrit précédemment rédigé par un autre auteur, à rédiger une partie consacrée aux relieurs contemporains et à établir une liste des illustrations qui devaient être légendées, le tout moyennant une rémunération forfaitaire de 10.000 euros, à payer en trois échéances. L’avenant signé ne comportait aucune modification explicite quant à l’objet initial de la lettre-contrat ou à la rémunération prévue, mais formalisait un contrat d’édition ayant pour objet une cession de droits exclusifs pour une exploitation en tous pays, toutes langues et sur tous supports tout en définissant les obligations des parties. Attrait en justice pour ne pas avoir procédé à la publication de l’ouvrage, l’éditeur a tenté de soulever en défense de nombreux arguments dont l’un portait sur un soi-disant manquement à l’obligation de garantie de la part de l’auteur concernant le texte qui lui avait été soumis, par l’éditeur lui-même, en vue de sa mise à jour.
L’éditeur faisait ainsi valoir que l’autrice n’aurait pas satisfait à son obligation résultant de l’article L. 132-8 du Code de la propriété intellectuelle et des stipulations contractuelles de fournir les autorisations des ayants droit de l’auteur du manuscrit initial qui faisait l’objet de la mise à jour. À titre de rappel, ledit article du Code de la propriété intellectuelle impose pour tout auteur de garantir à l’éditeur l’exercice paisible et, sauf convention contraire, exclusif du droit cédé.
La Cour relève que la demande telle que formulée dans la lettre-contrat initiale consistait à proposer à l’autrice de réaliser une mise à jour d’une œuvre première, afin de créer une œuvre composite au sens de l’article L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire une œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière. En effet, la seule intervention de l’autrice sur l’ouvrage préexistant consistait en un travail de dactylographie du manuscrit original, ce qui n’était contesté par aucune des parties, et en une mise à jour de celui-ci par le biais d’un texte nouveau.
Les arguments inopérants de l’éditeur en raison de la nature composite de l’œuvre
Pour tenter de faire valoir son argument, l’éditeur se fondait sur l’avenant à la lettre-accord qui imposait notamment à l’auteur de garantir que son œuvre est « entièrement originale et libre de droits ». Cette stipulation, habituellement insérée dans les contrats d’édition portant sur des œuvres autonomes et nouvelles, a été relevée par la Cour qui indique que celle-ci « ne manque pas de surprendre dès lors que c’est l’éditeur lui-même qui avait proposé à [l’autrice] de procéder à un travail d’actualisation des ouvrages préexistants [de l’auteur de l’œuvre première] », « de sorte qu’il avait parfaite connaissance de la nature composite de l’ouvrage qu’il se proposait de publier, ce qui exclut par nature même que les ouvrages puissent constituer une œuvre entièrement originale ». Et ce, d’autant que la lettre-contrat précisait que les pages de titre porteraient la mention selon laquelle le texte d’origine était écrit par l’auteur de l’œuvre première et « augmenté » par la contribution de l’autrice.
Plus factuellement, la Cour rappelle que c’était bien l’éditeur qui avait obtenu la remise des documents émanant du fonds de l’auteur de l’œuvre première. C’est pourquoi, selon la Cour, « il était légitime que [l’autrice de la mise à jour] ait entendu que la garantie qu’elle donnait en apposant sa signature sur l’avenant, ne portait que sur sa propre contribution, tant il paraissait évident qu’elle ne pouvait se porter garante de ce que l’œuvre dans son ensemble ne comportait aucun emprunt ». Seul l’éditeur, qui avait pris la décision de publier l’ouvrage d’origine remanié en deux tomes afin d’en confier le travail de mise à jour à l’autrice, devait s’assurer de l’accord des ayants droit de l’auteur de l’œuvre première. Il aurait pu en être autrement si l’autrice avait été à l’origine du projet ou si, contractuellement, il avait été mis à sa charge le soin de s’assurer de l’accord des ayants droit. Ce qui n’était aucunement le cas en l’espèce.
Dès lors que l’absence de l’accord des ayants droit ne provenait pas d’une inexécution contractuelle imputable à l’autrice, celle-ci n’avait commis aucune faute qui aurait pu justifier à ses torts la résolution du contrat conclu avec l’éditeur. Bien au contraire, seul celui-ci a failli à son obligation de publication. Enfin, il doit être relevé que la Cour se refuse à condamner la société éditrice à publier les ouvrages sous astreinte. En effet, dès lors qu’aucun élément ne permet de considérer que la nécessaire cession des droits d’auteur sur l’œuvre d’origine pouvait être obtenue des ayants droit de l’auteur de l’œuvre première, la publication s’avérait corrélativement impossible. La condamnation souhaitée de l’éditeur est alors sans portée, car insusceptible d’exécution. Seule une réparation pécuniaire pouvait être retenue, ainsi que cela fut le cas.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.
[1] CA Nancy, 1re ch. civ., 10 mai 2021, RG no 20/00908.