Quel format pour la remise d’un manuscrit à un éditeur ?
À défaut de précision dans le contrat d’édition, il ne peut être fait reproche à un auteur d’avoir remis son manuscrit sous format pdf à l’éditeur plutôt que sous format word. Selon la Cour d’appel de Nancy, au terme d’une décision du 10 mai 2021, l’éditeur ayant reçu le manuscrit sous un tel format ne peut arguer d’une impossibilité d’exploitation pour justifier l’absence de publication de l’ouvrage concerné.
Si la question des délais de remise du manuscrit et celle des éventuelles corrections qui peuvent être apportées afin de parvenir à une version définitive de celui-ci sont régulièrement envisagées dans les contrats d’édition, la problématique du format de remise est bien souvent tue. Cette problématique était, parmi d’autres éléments, au cœur d’un litige ayant opposé un auteur à son éditeur. Ceux-ci s’étaient initialement entendus par le biais d’une lettre-contrat, avant qu’un avenant ne soit signé entre les deux parties. Le travail confié à l’auteur consistait à dactylographier un manuscrit précédemment rédigé par un autre auteur, à rédiger une partie consacrée aux relieurs contemporains et à établir une liste des illustrations qui devaient être légendées, le tout moyennant une rémunération forfaitaire de 10.000 euros, à payer en trois échéances. L’avenant signé ne comportait aucune modification explicite quant à l’objet initial de la lettre-contrat ou à la rémunération prévue, mais formalisait un contrat d’édition ayant pour objet une cession de droits exclusifs pour une exploitation en tous pays, toutes langues et sur tous supports tout en définissant les obligations des parties.
L’éditeur n’ayant pas procédé à la publication, l’autrice l’assigna devant le Tribunal de grande instance – désormais Tribunal judiciaire – de Nancy en juillet 2019 aux fins de condamner la société éditrice à exécuter ses obligations contractuelles, au besoin sous astreinte de 300 euros par jour de retard, ainsi qu’au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l’exécution du contrat à la parution de l’ouvrage et au paiement de 10.000 euros au titre de la résistance abusive face à cette absence de publication. En défense, la société éditrice opposait notamment comme argument le format dans lequel le manuscrit avait été envoyé, soit ici en pdf, ce qui aurait rendu son exploitation impossible.
L’indifférence du format de remise du manuscrit à défaut de stipulation expresse
En première instance, cet argument opposé par la société éditrice avait reçu les faveurs des juges du fond. Pour autant, cette solution est logiquement infirmée en appel devant la Cour d’appel de Nancy[1]. En effet, selon la Cour, « il y a lieu de retenir que ni la lettre-contrat d’origine, ni son avenant ne mentionnent dans quel format le texte devait être transmis à l’éditeur ». En d’autres termes, aucune stipulation contractuelle ne prévoyait expressément le format dans lequel le manuscrit de la contribution et de la reprise du texte d’un auteur tiers devait être remis à l’éditeur. Par ailleurs, et toujours selon la Cour, « s’il est exact qu’il résulte des échanges de courriels versés aux débats que l’appelante avait envoyé son texte en format pdf et qu’il lui a été demandé de le fournir en version word, ceci a été fait deux semaines plus tard comme en atteste un message du 23 octobre 2017 émanant d’une collaboratrice de l’éditeur ». En outre, l’éditeur ayant versé la dernière tranche de 1.000 euros correspondant à l’échéance de la remise du texte, il devait être considéré que l’éditeur avait bien reconnu avoir reçu le texte dans sa version définitive.
L’absence de précision au sein du contrat du format de remise du manuscrit, à laquelle s’ajoute le versement du montant correspondant à la remise dudit manuscrit, ne pouvait que faire échec à la prétention de l’éditeur de tenter de voir considérée la remise comme non avenue faute pour l’auteur d’avoir transmis son texte sous format word. La Cour considère donc que l’éditeur ne pouvait se prévaloir d’un tel argument pour justifier l’absence de publication de l’ouvrage.
Au-delà des faits de l’espèce, la problématique du format de remise doit ainsi devoir être abordée dans le contrat d’édition afin d’éviter toute difficulté à venir. Or, il est rare que cette question soit résolue dans les modèles habituellement proposés par les représentants des éditeurs ou des auteurs. À seul titre d’illustration, le contrat-type de la Société des gens de lettre prévoit en son article 2.2, dévolu à la remise des éléments permettant la publication, que « l’auteur s’engage à remettre à l’éditeur, qui a l’obligation d’en accuser réception, l’œuvre dans la forme définitive et complète telle que définie par l’auteur ». Quel que soit l’intérêt en jeu dans le contrat, celui de l’auteur ou celui de l’éditeur, il est nécessaire de parvenir à déterminer les attentes respectives de chaque partie afin d’éviter tout contentieux à venir sur des éléments mineurs de la relation contractuelle.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.
[1] CA Nancy, 1re ch. civ., 10 mai 2021, RG no 20/00908.