Absence de protection par le droit d’auteur quand le savoir-faire prime sur les choix originaux
Dans l’espèce soumise à la Cour d’appel de Paris[1], un photographe reprochait à une société tierce d’avoir réutilisé un cliché en prise de vue aérienne représentant un paysage côtier situé en Nouvelle-Calédonie. Photographe professionnel établi, le requérant, établi en Nouvelle-Calédonie, réalise régulièrement des photographies de paysages marins et terrestres, notammenten vue aérienne, ainsi que des clichés représentant l'architecture néo-calédonienne et la vie quotidienne des habitants des îles et des archipels. Ayant constaté qu’une société éditant et distribuant un hebdomadaire calédonien d'informations générales avait repris en une de son numéro de novembre 2017 la photographie litigieuse sans autorisation, le photographe assigna en justice la société en contrefaçon. Débouté en première instance, le photographe tenta sans succès d’étoffer ses demandes en visant pour la première fois des faits distincts de parasitisme, demandes nouvelles qui devaient nécessairement être écartées. Quant à l’action en contrefaçon, celle-ci a également achoppé devant la Cour d’appel, à défaut d’avoir pu caractériser l’originalité du cliché indûment repris.
Et une telle caractérisation incombe nécessairement à celui qui entend se prévaloir de la protection par le droit d’auteur de l’œuvre dont il est le créateur. Cette caractérisation doit, selon la formulation classique retenue par la Cour d’appel de Paris, consister à « justifier de ce que cette oeuvre présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l'empreinte de la personnalité de son auteur ».
La simple mise en œuvre d’un savoir-faire face à l’empreinte de la personnalité
Malgré la tentative de caractérisation d’une telle originalité menée par le photographe, la Cour rejette l’argumentation et dénie corrélativement à la photographie le statut d’œuvre de l’esprit. En effet, selon les magistrats, si la photographie « démontre un savoir faire incontestable du photographe qui a réalisé son cliché d'un point de vue aérien, elle n'a d'autre finalité que de restituer le plus fidèlement possible la physionomie et la beauté du site photographié ». En d’autres termes, la personnalité du photographe s’est effacée derrière son sujet, auquel il n’a su qu’être fidèle sans parvenir à imprimer son empreinte personnelle.
C’est pourquoi la Cour considère que la photographie « ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité » de l’auteur, ce dernier avançant avant tout des choix « dictés par des contraintes techniques, [telles que] le choix de la prise de vue aérienne et de l'altitude pour la prise du cliché ». Or, toujours selon la Cour, ces choix étaient « conditionné[s] par la nécessité de cadrer au mieux le site pour qu'il puisse être représenté dans son ensemble, la lumière zénithale du soleil permettant d'apporter un éclairage optimum et le contraste et la superposition allégués entre les différents éléments résultant de la simple réunion, en un même lieu, de la mer, des rochers, du sable et de la forêt de palmiers ».
L’effacement de la personnalité de l’auteur face à son sujet
L’effacement de l’auteur d’une photographie derrière son sujet, qui impose ses contraintes ou ses spécificités, s’avère davantage reconnu ces dernières années par les juridictions du fond, notamment lorsqu’un objectif de fidélité est recherché ou subi.
Cet objectif peut résulter de considérations extérieures, à l’instar de la reproduction d’une œuvre en deux dimensions au sein d’un catalogue de vente aux enchères qui impose au photographe de s’effacer derrière l’objet photographié afin d’éviter de le magnifier ou de le dégrader dans son cliché. En revanche, des photographies d’objets en trois dimensions, notamment des meubles, en vue de leur mise en vente aux enchères future peuvent donner lieu à la protection par le droit d’auteur. De la même manière, la personne dont le portrait est réalisé peut imposer au photographe sa pose ou son attitude au photographe et empêcher tout choix libre et créatif de la part de celui-ci, ainsi que l’a reconnu la Cour d’appel de Versailles dans un arrêt récent du 25 octobre 2022.
Il en était, dans l’espèce rapportée, de même pour un paysage dont les caractéristiques s’imposaient au photographe qui n’a su que les capturer selon une reproduction finalement jugée trop fidèle par les magistrats de la Cour d’appel de Paris. La neutralité du traitement du sujet ne saurait offrir prise à la caractérisation de l’originalité.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les artistes confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme.
[1] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 2 nov. 2022, RG no 20/10036.