Absence de prescription d’une action en nullité d’une vente conclue en 1988
La réforme de la prescription en matière civile de 2008 continue à imposer aux plaideurs une attention particulière aux questions d’application de la loi dans le temps, notamment lorsque la demande porte sur la nullité d’une vente conclue pour erreur sur les qualités essentielles ou pour dol.
Dans l’espèce soumise à la Cour d’appel de Versailles, la requérante avait acquis, le 22 novembre 1988, en vente aux enchères publiques une œuvre attribuée au peintre néo-impressionniste Albert Lebourg, et portant sa signature, représentant “La Seine à Paris”. Après le décès de son mari, la requérante souhaita confier la remise en vente de ce tableau à la même maison de ventes, qui sollicita parallèlement le spécialiste de l’œuvre pour obtenir son avis. Ce dernier se révéla négatif, le spécialiste concluant à la fausseté de l’œuvre en 2014.
C’est pourquoi, le Tribunal judiciaire de Nanterre fut saisi en référé afin d’obtenir la désignation de deux experts judiciaires qui conclurent, en mars 2018, à l’impossibilité d’attribuer le tableau à Albert Lebourg.
Point de départ de l’action en nullité : la découverte du vice
Dans la continuité de cette dévaluation judiciaire de l’attribution de l’œuvre, sa propriétaire intenta alors une action en nullité sur le double fondement de l’erreur sur les qualités essentielles et du dol. Or, la prescription de l’action de ces deux vices du consentement relève d’un point de départ dit « glissant », c’est-à-dire fixé au jour de la connaissance réelle du vice, principe rappelé par la Cour d’appel de Versailles le 22 septembre 2022[1], la Cour énonçant qu’il « est de principe bien établi que le délai de l’action en nullité pour erreur ne court que du jour où cette erreur a été découverte et non seulement soupçonnée ». Le point de départ de la prescription de l’action correspondait donc ici au 1er août 2014, date à laquelle le spécialiste d’Albert Lebourg s’était prononcé contre l’attribution de l’œuvre au peintre néo-impressionniste.
C’est en ce sens que conclut la Cour, retenant qu’au cas présent, la propriétaire avait conservé par devers elle le tableau acquis en 1988 sans soupçonner un instant qu'il pouvait être faux. Ce n'est que lorsqu’elle avait voulu le céder qu'elle s'était adressée la maison de ventes, qui avait alors mandaté un expert, lequel avait conclu le 1er août 2014 que le tableau était un faux. « C'est cette dernière date qui doit être tenue comme constituant le point de départ de la prescription et le régime de la prescription applicable est celui issu de la loi du 17 juin 2008, soit cinq années ». Il en résulte, selon la Cour, que « les assignations des 8 juin et 13 juillet 2018 ont été délivrées dans le délai de la prescription ».
L’impossibilité de faire jouer le délai butoir pour les ventes conclues avant 2008
En effet, il n’était pas possible dans l’espèce concernée de faire jouer le délai dit « butoir » visé à l’article 2232, alinéa 1er, du Code civil, issu de la loi du 17 juin 2008. Celui-ci empêche toute action, notamment en nullité, postérieurement au délai de vingt ans qui commence à courir à compter de la naissance du droit, c’est-à-dire dans l’espèce rapportée à compter de la vente aux enchères du 22 novembre 1988.
Pareille inapplication du délai dit butoir est justifié par la Cour sur les fondements de l'article 2 du Code civil, de l'article 26 de la loi du 17 juin 2008 et de l'article 2232 du Code civil, puisqu'en l'absence de dispositions transitoires qui lui soient applicables, le délai butoir, créé par la loi du 17 juin 2008, relève, pour son application dans le temps, du principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle. Un tel délai n'est pas applicable à une situation où le droit est né avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008, ainsi qu’a pu encore le rappeler récemment la Cour de cassation[2].
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires-priseurs judiciaires) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Versailles, 3e ch., 22 sept. 2022, RG no 20/05851.
[2] Cass. civ. 3e, 1er oct. 2020, no 19-16.986.