De la liberté de la preuve entre antiquaires
Un conflit opposait deux professionnels de la vente d’objets d’art, l’un – une société espagnole – reprochant à l’autre – un antiquaire français – de ne pas lui avoir restitué trois objets remis en dépôt-vente[1], plus de cinq ans auparavant, afin de tenter de rechercher sa responsabilité en raison du défaut de restitution des objets confiés.
Rappelant qu’en matière commerciale la preuve est libre[2], la cour d’appel de Nîmes s’est attachée, dans sa décision du 26 mai 2021, à démêler entre les deux positions opposées des parties une vérité judiciaire, fondée uniquement sur des éléments probatoires sérieux. Le juge saisi d’un litige entre commerçants dispose, en effet, d’une appréciation souveraine des éléments de preuve qui lui sont soumis.
La société espagnole soutenait, avec un document non signé dont une mention essentielle était laissée en blanc, que deux montres et une pendulette auraient été confiées à un antiquaire français, en décembre 2011, pour une durée de 90 jours en vue de leur vente. Celui-ci soutenait, au contraire, que ces objets lui avaient été cédés en janvier 2012, bien qu’il ait enregistré ces biens sur son livre de police quelques jours après l’établissement du document non définitif produit en justice par la société espagnole.
L’antiquaire opposait surtout deux arguments sérieux, l’un relatif à un usage dans le domaine, l’autre fondé sur un élément probatoire essentiel. Sur le premier argument, le professionnel français faisait valoir que son confrère espagnol était nécessairement dans l’incapacité de produire l’original du document invoqué au soutien de ses demandes. En effet, l’hypothèse selon laquelle l’original aurait été perdu devait ici céder le pas à la règle – l’usage – selon laquelle, entre professionnels antiquaires, l’original du bon de dépôt est restitué ou détruit lorsque l’affaire s’est terminée ou lorsque les conditions de l’accord se sont trouvées modifiées.
Ce premier argument renforçait alors le deuxième élément, ici de preuve, versé par l’antiquaire français. Le 18 janvier 2012, soit quelques jours après le dépôt-vente, une vente des deux montres et de la pendulette fut conclue pour un montant de 19.200 euros, commission déduite. Afin de prouver cette transaction, l’antiquaire produisait non seulement un document cohérent avec l’opération, ainsi qu’un certificat de vente signé avec la copie d’une carte d’identité professionnelle de la société de droit espagnol. Et la cour relève que ce document, qui ne consiste pas en une simple carte de visite mais en un « document assez complet qui correspond à une habilitation professionnelle », n’aurait pu être mis à disposition de l’antiquaire dans un autre contexte que celui d’une vente. Quant à la présence d’une signature sur le document de vente, celle-ci joue comme une « authentification voulue de l’acte de vente ».
À défaut pour l’antiquaire espagnol d’apporter des éléments de preuve pouvant renverser la présomption bien établie d’une vente au bénéfice de son confrère français, la cour d’appel de Nîmes a pu souverainement considérer qu’une vente avait bien eu lieu et que la demande en restitution devait être corrélativement écartée à défaut d’être fondée.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des antiquaires et brocanteurs dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise et du commerce de l’art.
[1] Figure correspondant juridiquement à un mandat de vente assorti d’un contrat de dépôt conclu à titre accessoire.
[2] Conformément aux dispositions de l’article L. 110-3 du Code de commerce : « A l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens à moins qu’il n’en soit autrement disposé par la loi. ».