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Galeristes, antiquaires et marchands, attention à la présentation du pedigree des œuvres vendues

Rares sont les décisions dans le domaine du marché de l’art consacrant la nullité du contrat de vente sur le fondement du dol. Dans une décision rendue le 15 mai 2020, la Cour d’appel de Rennes a prononcé la nullité pour dol de la vente réalisée par un antiquaire d’un vase, prétendument créé par l’artiste céramiste Hans Coper (1920-1980), à un couple de collectionneurs[1]. En effet, cette société, professionnelle en matière d’antiquités, avait usé de divers stratagèmes afin d’emporter le consentement des collectionneurs, notamment la présentation erronée du précédent propriétaire du vase.

L’auteur d’une oeuvre, qualité essentielle du contrat de vente d’une oeuvre ou d’un objet d’art
Le vase objet du litige avait été vendu en 2010 par la société comme un vase « Chardon » de Hans Coper, célèbre artiste céramiste, pour 5.000 euros. En 2014, après avoir constaté une hausse de la cote de cet artiste, le couple de collectionneurs avait souhaité mettre à l’encan cet objet et s’était rapproché à cette fin d’une célèbre maison de ventes aux enchères anglo-saxonne. Toutefois, le directeur des ventes leur indiqua sur simple présentation de photographies, que le vase serait un faux. Après une vaine tentative de résolution amiable du litige avec l’antiquaire, les époux ont obtenu la désignation d’un expert judiciaire qui confirmait les soupçons sur l’authenticité. Selon l’expert judiciaire, les sceaux de Hans Coper sont toujours tracés et creusés dans la céramique de la façon suivante : « l’initiale H de Hans toujours couchée avec la barre du centre débordant légèrement vers le bas et l’initiale C figurant un fond de bol sur la lettre H ». Tel n’était pourtant pas le cas du vase acheté par les collectionneurs.

En 2015, ceux-ci assignèrent l’antiquaire en nullité de la vente en raison du vice du consentement dont ils avaient été victimes. Le 29 novembre 2016, le Tribunal de grande instance de Quimper prononçait la nullité du contrat de vente pour erreur sur les qualités essentielles. En effet, en matière d’œuvres d’art et d’objets de collection, l’authenticité est une qualité essentielle. Et le décret dit Marcus[2], qui détermine le vocabulaire de référence que les professionnels doivent utiliser dans la description des biens qu’ils vendent (facture, quittance, bordereau de vente, ou extrait de procès-verbal de la vente publique), retient que l’affirmation sans réserve que l’objet porte la signature d’un artiste entraîne la garantie que l’artiste mentionné en est effectivement l’auteur[3]. L’antiquaire ayant présenté le vase comme un Hans Coper et non comme « attribué à », la nullité de la vente était presque automatique.

Les avantages de la nullité prononcée sur le fondement du dol
Mécontents de cette décision de première instance, les époux ont interjeté appel afin d’obtenir la nullité sur le fondement du dol et non plus sur celui de l’erreur. Le dol consiste en une erreur provoquée de manière frauduleuse par le cocontractant ou un tiers. Au contraire de l’erreur, la caractérisation du dol autorise également le juge à allouer des dommages et intérêts sur le fondement de la responsabilité délictuelle aux victimes des ces manœuvres. En outre, en matière de dol, l’erreur est toujours excusable. Or, la jurisprudence a pu refuser de constater l’erreur sur les qualités essentielles d’un acheteur professionnel ou d’un spécialiste en raison du caractère inexcusable de son erreur[4]. Voilà de quoi motiver l’appel des deux « amateurs éclairés ».

Selon les époux, le marchand d’art avait « scénarisé » l’acquisition du vase en le présentant comme acquis à un directeur de la « prestigieuse Galerie Mouvements Modernes », également « collectionneur célèbre de céramique ». Ce pedigree avait « conféré force et crédit à l’oeuvre » et emporté leur consentement. De son côté, la société invoquait sa bonne foi et produisait à cet effet une attestation datant de 2014 du compagnon du directeur de la Galerie Mouvements Modernes, qui confirmait l’authenticité du vase.

L’usage de manœuvres intentionnelles de la part de la société
Dans un argumentaire clair et détaillé, la Cour donne raison aux époux acquéreurs. D’une part, les magistrats constatent l’usage de manœuvres, élément matériel du dol, par la société afin de créer une fausse apparence de la réalité. Celle-ci a notamment dissimulé que le vase avait été acheté dans un premier temps par le gérant de la société d’antiquités au directeur de la Galerie Mouvements Modernes, avant de la céder à sa société pour la somme de 2.500 euros. Cette manœuvre lui avait permis de « présenter aux acquéreurs le vase commune une oeuvre authentique en se référant à la galerie auprès de laquelle elle prétendait l’avoir acheté ». Alors que l’antiquaire était un professionnel, il n’a pas hésité a mentionner sur la facture l’authenticité « alors qu’[il] n’était pas en capacité d’attester de cette authenticité par la production d’un document quelconque ». D’autre part, la cour énonce que la dissimulation volontaire de la vente intermédiaire et la mise en avant de la provenance alléguée témoignait de la volonté de tromper de la société, caractérisant alors l’élément intentionnel du dol.

Ces manœuvres avaient entraîné automatiquement une erreur de la part des collectionneurs, erreur qui avait été déterminante de leur consentement, « l’authenticité de l’oeuvre importait avant son aspect esthétique » selon la Cour. Le dol est donc caractérisé, la nullité prononcée et les parties sont, par le biais du jeu des restitutions réciproques, remises dans l’état antérieur à la conclusion du contrat.

Le refus de l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de valeur du bien
La caractérisation du dol permet en outre aux acquéreurs de demander réparation de leur préjudice direct, certain et légitime, sur le fondement délictuelle. Toutefois, la juridiction refuse de réparer le préjudice financier calculé à partir de la valeur potentielle d’une oeuvre authentique de Hans Coper, « dont la valeur hypothétique est tributaire des aléas du marché des œuvres d’art » puis qu’il n’est pas direct. En revanche, la Cour alloue aux époux la somme de 2.000 euros en réparation du préjudice moral résultant du fait d’avoir été trompés et « du sentiment d’avoir perdu une pièce de collection ».

Alors que certains professionnels du monde de l’art présentent parfois allègrement les précédents propriétaires des œuvres dans un but commercial, la Cour d’appel de Rennes vient sanctionner durement un antiquaire qui avait sciemment occulté une transaction intermédiaire et favorisé une provenance prestigieuse. Il revient donc aux marchands d’art, galeristes, antiquaires ou brocanteurs, de veiller à être le plus précis et sincères possibles dans les descriptions opérées afin d’éviter toute mauvaise surprise, notamment une condamnation complémentaire au titre du dol. Le pedigree d’une œuvre doit refléter fidèlement l’histoire de l’objet. Et si l’erreur spontanée n’emporte que la nullité, l’omission sciemment réalisée emporte, quant à elle, une réparation pécuniaire complémentaire.

Article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (marchands, antiquaires, brocanteurs, commissaires-priseurs) face aux réclamations réalisées par leurs acheteurs. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Rennes, ch. 2, 15 mai 2019, RG no 16/09739.

[2] Décret no 1981-255 du 3 mars 1981 sur la répression des fraudes en matière de transactions d’œuvres d’art et d’objets de collection, JO 20 mars 1981, p. 825.

[3] Décret du 3 mars 1981, article 3, alinéa 1er : « A moins qu'elle ne soit accompagnée d'une réserve expresse sur l'authenticité, l'indication qu'une oeuvre ou un objet porte la signature ou l'estampille d'un artiste entraîne la garantie que l'artiste mentionné en est effectivement l'auteur. »

[4] Cass. civ. 1re, 9 avr. 2014, no 13-24.772.