Destruction d’œuvres de street art, une cour d’appel fédérale confirme la condamnation du un promoteur immobilier
La cour d’appel fédérale pour le second circuit de New-York vient, le 20 février dernier, de confirmer en tout point la décision rendue en 2018 à l’encontre d’un promoteur immobilier qui avait détruit les œuvres de street art présentes dans un ensemble alors dénommé « 5pointz ».
Créé au début des années 2000 à New-York et regroupant plus de 10.000 œuvres de street art, 5pointz était depuis surnommé « la Mecque du graffiti ». En 2013, les artistes saisirent la justice après avoir appris que le propriétaire, Gerald Wolkoff, souhaitait détruire ces œuvres dans le cadre d’un nouveau projet. Malgré une action préventive menée par certains des artistes afin d’empêcher cette destruction, le propriétaire décida de passer à l’action et recouvrit les murs des bâtiments de peinture blanche. Le litige mettait ainsi en opposition deux droits fondamentaux soit le droit de propriété du propriétaire du bâtiment et, par conséquent, du support des oeuvre, et le droit des auteurs sur leurs créations.
En 2017, le jury d’une cour fédérale de Brooklyn s’est prononcé sur les conséquences de la destruction de ce haut lieu du street art et un juge fédéral alloua, en 2018, la somme totale de 6.75 millions de dollars au groupe de vingt-et-un graffeurs en raison de l’atteinte portée à leur droit moral par la destruction de leurs œuvres.
Une protection au titre du VARA confirmée
La décision de première instance avait pour la première fois consacré la reconnaissance des graffiti au titre de la loi fédérale de 1990 dite « Visual Artists right Act » ou « VARA »[1] en estimant qu’il s’agissait d’œuvres « d’importance reconnue ». La destruction de ces créations portait donc atteinte à l’honneur et à la réputation des artistes. Le débat sous-jacent était de savoir si cette loi pouvait s’appliquer à des œuvres par nature temporaire.
Dans un arrêt fleuve de trente-deux pages, la Cour d’appel fédérale du second circuit déboute le promoteur immobilier de tous ses arguments et offre ici l’occasion de rappeler que le street art est tout aussi important que les autres formes d’art plastique. La cour note, par exemple que le street artiste Banksy « est apparu aux côtés du Président Barack Obama et du fondateur d’Apple Steve Jobs dans la liste des cent personnes les plus influentes du monde ». Insistant sur la reconnaissance des œuvres d’art temporaires, la cour rappelle que si le street art est par nature éphémère, l’oeuvre Girl With a Ballon, connue pour son autodestruction lors de son adjudication chez Sotheby’s, n’a fait que renforcer son institutionnalisation. De même, la cour souligne que l’artiste Christo, dont le travail va faire l’objet d’une rétrospective au Centre Pompidou au printemps 2020, est lui aussi reconnu pour son art éphémère. En 2005, il avait notamment installé 7.503 portes confectionnées dans des tissus en toile orange à Central Park dans une installation intitulée « The Gate ».
Une reconnaissance ancienne en France de l’éligibilité du street art au droit d’auteur
En France aussi, les œuvres de street art peuvent être protégées au titre du droit d’auteur, le champ d’application du Code de la propriété intellectuelle couvrant toute oeuvre du seul fait de sa création. À ce titre, le Tribunal de grande instance de Paris a déjà pu considérer que les mosaïques de l’artiste Invader étaient éligibles à la protection prévue par le droit d’auteur[2]. Et comme aux Etats-Unis, le conflit entre deux droits fondamentaux opposant le propriétaire du bien et l’auteur de l’oeuvre a pu être envisagé dans l’hypothèse spécifique du street-art. Des artistes ayant apposés des graffitis sur des bâtiments ou des trains ont pu être condamnés, notamment sur le fondement de l’article 322-1 du Code pénal pour destruction, dégradation ou détérioration d’un bien appartenant à autrui. A contrario, les heureux propriétaires d’immeubles sur lesquels l’artiste Bansky avait réalisé ses œuvres à Paris, ont porté plainte pour vol lorsque celles-ci ont été dérobées.
Article écrit par Me Simon Rolin,
Avocat Collaborateur
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes dont les oeuvres ont pu être dégradées ou détériorées afin d’obtenir la réparation du préjudice subi.
[1] 17 U.S. Code § 106A.
[2] TGI Paris, 3e ch., 14 nov. 2007, RG no 06/12982.
V. ég., A. Fournol, “De la rue aux tribunaux”, Le Journal des Arts, 30 sept. 2014