La protection du titre d’une œuvre par le droit d’auteur
L’attention de nos articles se porte bien plus souvent sur les œuvres plastiques que sur l’objet qui les désigne : leur titre. La fonction d’un tel objet réside dans la désignation de la production auquel il se réfère. Si une tendance se dessine au sein de l’art contemporain vers un effacement du titre des œuvres – combien d’entre elles sont-elles désormais désignées par un [Sans titre] ou [Untitled] –, pareille tendance ne semble pas avoir éclot en matière d’exposition. Et ici, de nombreux titres ont fait date, suscitant immédiatement un rappel mémoriel. Du fondamental « When attitudes become form : live in your head » de Haraald Szeeman au non moins poétique « Les magiciens de la Terre » de Jean-Hubert Martin, certains titres d’exposition résonnent toujours. Or, à l’instar des œuvres auxquelles ils se réfèrent, les titres peuvent eux-mêmes être protégés par le droit d’auteur. Et le lien unissant l’œuvre à son titre n’est qu’intellectuel et non juridique. La recherche de protection de l’œuvre et du titre par le droit d’auteur est indépendante. L’absence d’originalité de l’un n’influe nullement sur la reconnaissance de l’originalité de l’autre.
Quant à la brièveté naturelle – bien que parfois combattue – du titre celle-ci n’emporte pas, par principe, une impossibilité d’accès à la qualification d’œuvre de l’esprit. Néanmoins, une telle qualification demeure assurément plus délicate, puisque le siège de l’originalité ne dispose que de peu de matière pour s’exprimer. Cet obstacle matériel peut être combattu dès lors que le sens commun des termes est détourné ou qu’au travers de la combinaison des rares termes mobilisés l’auteur parvient toutefois à exprimer sa personnalité. C’est dans le sillage de cette seconde hypothèse que la cour d’appel de Paris vient de retenir, le 19 avril 2019, tout à la fois l’originalité d’un titre d’ouvrage et le caractère contrefaisant du titre choisi pour un ouvrage postérieur.
Un auteur d’un roman avait publié, en 2014, son ouvrage sous le titre « Mémoire fauve ». Musicien de profession, l’auteur livrait au fil des pages une critique de la société du monde médiatique, monde dans lequel il avait également évolué professionnellement. Mais en 2015, un autre roman fut publié sous le titre « Mémoires fauves ». Ce roman-ci narrait l’histoire d’une rock-star dénommée « Fauves » et dénonçait derrière l’histoire inventée de son protagoniste la violence faite aux enfants, tout en puisant dans la vie personnelle du romancier. L’auteur du premier roman revendiqua la protection du droit d’auteur sur le titre de son œuvre à l’encontre de l’auteur du roman postérieur et de son éditeur, sur le fondement du premier alinéa de l’article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que « Le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ». Si le Tribunal de grande instance lui refusa une telle protection du titre de son ouvrage, telle ne fut pas l’analyse retenue par la cour d’appel de Paris.
L’originalité consacrée du titre
La cour d’appel a tout d’abord classiquement énoncé que « l’originalité d’une œuvre doit s’apprécier de manière globale de sorte que la combinaison des éléments qui la caractérise du fait de leur agencement particulier lui confère une physionomie propre qui démontre l’effort créatif et le parti-pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur ». Puis, la cour constate que les deux mots « Mémoire » et « Fauve » qui constituent le titre « Mémoire Fauve » ne présentent « par eux mêmes aucune originalité et peuvent se retrouver, séparément, dans de nombreux titres d’œuvres littéraires. Pour autant ils ne sont pas généralement utilisés en association l’un avec l’autre et les intimés, qui contestent le caractère original du titre, n’allèguent pas pour autant d’une utilisation conjointe de ces deux mots ». Une fois ce rappel opéré, la cour devait rechercher l’originalité du titre et non se contenter d’une seule caractérisation de son caractère inédit. S’appuyant sur l’argumentation du requérant, explicitant les choix ayant présidé à la combinaison de ces termes au regard de l’articulation du livre autour de deux périodes, l’une d’elle étant dénommée « période Fauve », la cour retient que la preuve de l’originalité du titre « Mémoire fauve » est parfaitement rapportée.
Les mesures réparatrices au titre de la contrefaçon
Or, le titre du second roman - « Mémoires Fauves » - ne diffère du titre du premier que par l’ajout du pluriel à « mémoire » et à « fauve », pluriel qui au demeurant garde à l’expression la même sonorité et ne permet pas la différentiation des titres. La contrefaçon devait donc être nécessairement caractérisée, bien que le titre de l’œuvre postérieure ait sa logique propre ou que le contrefacteur soit de bonne foi. Ici, la cour retient que la contrefaçon du titre original crée nécessairement un préjudice pour son auteur et ce, d’autant que le second livre, qui n’avait été publié que 16 mois après la sortie du premier, est également un roman partant de souvenirs d’une héroïne ou d’un héros lié dans un cas au monde médiatique télévisuel et dans l’autre au monde de la musique rock et alors que les deux auteurs sont issus professionnellement du monde musical. C’est pourquoi, au titre de la réparation du préjudice subi, la cour fixe l’indemnisation due à 5.000 euros et fait interdiction au second auteur et à son éditeur de poursuivre la commercialisation du livre « Mémoires Fauves » avec une injonction d’obtenir des libraires le retour des exemplaires dans un délai de deux mois, sous une astreinte provisoire de 50 euros par exemplaire contrefaisant.
Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour, pour la lettre d’information mensuelle de c-e-a / commissaires d'exposition associés.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des commissaires d’exposition, notamment dans la défense de leurs droits au stade de la contractualisation de leur intervention.