Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La protection juridique des graffitis aux États-Unis

Des graffitis peuvent-ils être protégés par la loi ?

C’est là, le débat auquel a été confronté, outre-Atlantique, le jury d’une cour fédérale de Brooklyn au début du mois de novembre 2017. Le jury a dû se prononcer sur les conséquences de la destruction de l’ensemble immobilier 5Pointz, surnommé « la Mecque du graffiti », en 2014 par l’entrepreneur immobilier Jerry Wolkoff. Avant la destruction finale du bâtiment, l’entrepreneur a procédé au blanchiment des murs, supports initiaux des divers graffitis. Les 350 œuvres ornant l’ensemble ont depuis lors entièrement disparu.

Les deux questions principales auxquelles devra répondre définitivement le juge fédéral Frederic Block portent, d’une part, sur le statut d’œuvres d’art des graffitis et, d’autre part, sur l’indemnisation à laquelle peuvent prétendre les 21 artistes-tagueurs lésés. Les artistes ont saisi la justice en 2013 lorsqu’ils ont appris la volonté du promoteur immobilier de détruire leurs œuvres. Leurs revendications ont depuis lors semblé porter leurs fruits.

Le 31 mars dernier, le juge Block a décidé de faire passer l’affaire en procès avec jury (Jury Trial) reconnaissant ainsi les droits du collectif d’artistes sur leurs œuvres et estimant que le promoteur aurait dû chercher à les préserver avant de les détruire.

Le collectif d’artistes soutenait que Monsieur Wolkoff avait l’obligation de leur donner trois mois de préavis avant de détruire leurs œuvres et en refusant de leur accorder ce délai, il a porté atteinte à leur honneur et à leur réputation.

Les requérants se sont notamment fondés sur une loi fédérale datant de 1990, dénommée « Visual Artists right Act » ou « VARA » (17 U.S. Code § 106A), ayant pour objet la protection des droits d’auteur dont un droit à prévenir toute atteinte à l’intégrité d’une œuvre, premier droit reconnu sous l’empire du VARA[1]. Le a), 3. du « VARA » dispose notamment que : « les œuvres d’art reconnues méritent une protection et toute destruction volontaire ou due à une négligence d’une œuvre constitue une violation de ce droit »[2]. L’enjeu est donc, en l’espèce, la reconnaissance des graffitis réalisés, en tant qu’œuvres de l’esprit, qualification accordant à leurs auteurs, un droit moral.

Au-delà, l’issue de cette affaire sera déterminante dans la consécration juridique américaine du street art, pratique artistique mettant souvent en balance, liberté de création et intervention non-autorisée sur le bien d’autrui.  

Dans l’attente de la décision finale du juge Block, il est à espérer que le droit aille dans le sens des artistes, comme recommandé par le jury qui a reconnu l’atteinte portée aux graffitis, considérées comme œuvres de l’esprit et donc une nécessaire indemnisation allouée aux artistes en raison de leurs préjudices moraux.   

Le jury a notamment considéré que le travail des artistes était légalement protégé par le « VARA ». Monsieur Wolkoff avait donc nécessairement enfreint la loi fédérale. Le recours à un jury populaire s’explique ici par le septième amendement de la Constitution qui prévoit un droit à un procès devant un jury civil pour les procès de droit commun où la valeur en litige excèdera vingt dollars. Ce dernier peut ne pas se contenter de déterminer simplement les faits du litige mais peut fixer lui-même le montant des dommages et intérêts qu’une partie devra payer à une autre. En l’occurrence, le jury a recommandé des dommages et intérêts à plus de 100.000 dollars pour les auteurs des graffitis détruits. 

Comme le souligne le journal The Guardian, la décision à venir peut être source d’inspiration pour une future législation, en vue d’une protection légale des artistes de rues à travers les Etats-Unis[3].

Enfin, et pour rappel, en droit français, en vertu de l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre est protégée quelle que soit sa forme d’expression si elle est formellement matérialisée. Le graffiti étant, d’une part, une œuvre formellement exprimée, la protection du droit d’auteur résultera du seul fait de la création et, d’autre part, une œuvre originale, si elle se caractérise par l’empreinte de la personnalité de l’auteur dans l’œuvre.

Par Arthur Frydman
Stagiaire du cabinet entre octobre et décembre 2017

[1] John Carter, John Swing and John Veronis v. Helmsley-Spear Inc. and 474431 Associates, December 1, 1995 (concernant la mutilation d’une oeuvre).

[2] https://www.law.cornell.edu/uscode/text/17/106A

[3] https://www.theguardian.com/artanddesign/2017/nov/09/new-york-graffiti-artist-win-lawsuit-5-pointz