Portée de la déclaration de soupçon LCB-FT : précisions du Conseil d’État
Article publié le 11 février 2025
Le 13 novembre 2024, le Conseil d’État a été saisi par le Gouvernement afin d’apporter des précisions sur l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier quant à l’étendue de l’obligation de déclaration à la charge des entités assujetties, dont les maisons de ventes aux enchères, les galeries, les antiquaires et les experts-marchands dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT). L’avis rendu par la plus haute juridiction administrative le 23 janvier 2025 va dans le sens d’une interprétation non-restrictive de ce texte.
La déclaration de soupçon
Toute entité assujettie, dont les maisons de ventes aux enchères, les galeries, les antiquaires et les experts-marchands, doit procéder à une déclaration de soupçon dans des cas précisés par la loi. Aucune définition légale n’encadre le soupçon, de telle sorte que sa caractérisation relève d’une réflexion personnelle du professionnel du marché de l’art. Une telle déclaration, revêtant un caractère confidentiel, doit être effectuée par l’intermédiaire de la plateforme Ermes auprès de Tracfin.
Une consultation émise dans le cadre d’une difficulté d’interprétation
Le Code de justice administrative octroie au Gouvernement la faculté de consulter le Conseil d’État lorsque des « difficultés […] s’élèvent en matière administrative », l’avis émanant du Conseil d’État pouvant ensuite être rendu accessible au public. Une telle demande était justifiée par une interprétation restrictive de la disposition légale susvisée par les entités du secteur non-financier, dont les acteurs du marché de l’art assujettis aux règles en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. En effet, selon le Gouvernement, ces derniers soutiendraient que le champ d’application de l’obligation déclarative devait uniquement se limiter aux soupçons de blanchiment de sommes issues d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou liées au financement du terrorisme. A contrario, et selon une telle interprétation, seraient alors exclus de l’obligation déclarative les soupçons en lien avec des opérations portant sur des sommes provenant d’autres infractions. Pour autant, il est à regretter qu’aucune précision ne soit apportée sur de tels éléments.
L’affirmation de l’obligation déclarative quel que soit la nature du soupçon
La rédaction de l’article L. 561-15 du Code monétaire et financier fait état de « sommes inscrites dans leurs livres » et d’ « opérations portant sur des sommes dont elles savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme ». Dès lors, et selon l’interprétation qui serait faite par certaines entités assujetties, la déclaration portant sur les sommes et non sur les opérations aurait ainsi pu faire l’objet d’une interprétation comme relevant de la seule sphère du blanchiment. Pour autant, la disposition légale ne fait aucunement état de cette infraction spécifique. Le Conseil d’État, se référant à la rédaction antérieure de ce texte et à la quatrième directive en matière de LCB-FT, considère que la déclaration de soupçon doit porter tant sur les sommes obtenues par la commission d’une infraction que sur les opérations portant sur ces sommes. À cet égard, l’infraction prise en considération est celle passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an, quelle que soit sa nature. Ainsi, une déclaration de soupçon doit être effectuée lorsque des soupçons pèsent sur l’origine des fonds mais également sur l’opération réalisée avec ces fonds.
Et en pratique ?
Les maisons de ventes aux enchères, les galeries, les antiquaires et les experts-marchands doivent alors déclarer à Tracfin les sommes ou les opérations lorsqu’ils savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction visée en son sein. L’interprétation restrictive de cette disposition, à savoir procéder à une déclaration uniquement lorsque les sommes litigieuses pourraient provenir de l’infraction de blanchiment pourrait les exposer à des sanctions par la Commission Nationale des Sanctions ou une autorité judiciaire en raison de l’absence de déclaration de soupçon. Cela met en exergue la nécessité pour les professionnels du marché de l’art de disposer de politiques et protocoles internes formalisés afin d’identifier et de signaler les opérations et les sommes suspectes.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat à la Cour et Collaboratrice du Cabinet
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.