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Droit de la vente aux enchères

Article publié le 7 juin 2024

Si le droit de la vente volontaires aux enchères publiques ne constitue pas une branche spécifique du droit français, les spécificités qui encadrent l’organisation et la réalisation de cette modalité de vente particulière concourent néanmoins à lui accorder une certaine autonomie. Cette technique est fondée sur deux contrats principaux, à savoir le contrat de mandat – qui lie la maison de ventes au vendeur – et le contrat de vente – qui lie le vendeur à l’adjudicataire avec une intermédiation de la maison de ventes –. Ces deux figures contractuelles constituent des contrats spéciaux, dont les règles sont issues du Code civil. Mais celles-ci doivent se concilier avec celles, spécifiques, du Code de commerce et des textes qui en sont dérivés, à l’image du Recueil des obligations déontologiques du 30 mars 2022. Et c’est bien cette nécessaire conciliation qui peut donner lieu à certains débats devant les plus hautes juridictions françaises, qu’elles relèvent de l’ordre administratif ou judiciaire.

L’impossible clause de réserve de propriété
Une première contestation vient ainsi d’être définitivement tranchée par le Conseil d’État au terme d’une décision du 28 mars 2024. Saisie sur requête de la société Sotheby’s France, la haute juridiction administrative devait examiner la validité du Recueil des obligations déontologiques, dans sa version du 30 mars 2022, et plus précisément de son article 10.2 disposant que « L’adjudication opère le transfert de propriété ». Or, c’est bien la portée de cette disposition qui pouvait être sujette à discussion, soit ici son impérativité. En d’autres termes, le transfert de propriété est-il nécessairement opéré par l’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs ? Ou est-il possible d’aménager contractuellement l’automaticité de ce transfert ? Le droit de la vente prévoit, à l’article 1583 du Code civil, que le principe est bien celui du transfert de propriété au moment de la formation du contrat, quand bien même le prix n’aurait-il pas encore été payé et la chose n’aurait-elle pas été encore livrée. À ce principe s’adjoint une exception qui doit être contractuellement prévue : la clause de réserve de propriété. Un tel mécanisme, codifié à l’article 2367 du Code civil, permet de suspendre le transfert de propriété au complet paiement du prix. Mais la rédaction de l’article 10.2 du Recueil semblait combattre l’applicabilité d’un pareil mécanisme.
Cette impossibilité est confortée par le Conseil d’État. En effet, selon la haute juridiction administrative, les dispositions spéciales du Code de commerce attachées à l’organisation et à la réalisation des ventes volontaires aux enchères publiques poursuivent l’idée que le législateur a « exclu la possibilité pour les parties à ce type de ventes de convenir, […], que l’acquisition de propriété n’intervient qu’à compter du paiement du prix. Il a également entendu exclure la faculté de constituer la sureté prévue par l’article 2367 du code civil […] ». Dès lors, le Recueil des obligations déontologiques « s’est borné à interpréter sans y ajouter » les dispositions du Code de commerce et ses « énonciations ne sont entachées ni d’incompétence, ni d’erreur de droit ».
Préserver l’automaticité du transfert de propriété c’est en réalité préserver l’essence même du mécanisme de l’adjudication. En effet, ce dernier se définit comme la désignation automatique de l’acquéreur d’un bien mis à l’encan. Cette désignation s’opère à l’issue d’un procédé de mise en concurrence ouvert au public et transparent et échappe aussi bien à la volonté du vendeur qu’à celle de l’opérateur de ventes volontaires, puisqu’elle résulte de l’extinction du feu des enchères au profit du mieux-disant des enchérisseurs. Et l’article L. 320-2 du Code de commerce, socle définitionnel de la vente volontaires aux enchères publiques, précise que « le mieux-disant des enchérisseurs acquiert le bien adjugé à son profit ; il est tenu d’en payer le prix ». Au transfert de propriété est ainsi liée l’obligation, pour l’adjudicataire, de payer le prix du bien acquis. Encore faut-il, en cas de défaillance, que l’ensemble des conditions soient réunies pour la maison de ventes soucieuse de recouvrer judiciairement le prix.

Recouvrement du prix et mandat spécial
Une fois l’adjudication prononcée, l’adjudicataire est tenu de payer le prix visé au bordereau, c’est-à-dire tout à la fois le prix dit marteau, correspondant au prix d’adjudication, les frais acheteur et les éventuels frais d’intermédiation imposés par une plateforme tierce, telle que Drouot.com ou Interenchères. Mais il advient trop régulièrement que certains lots ne soient pas dûment réglés par un acheteur. L’opérateur de ventes volontaires et son mandant bénéficient alors de trois options : la résolution de la vente, la remise du bien sur folle enchère – mécanisme dit de la réitération des enchères -, ainsi que le recouvrement forcé du prix en justice. C’est à cette troisième option que s’est intéressée la Cour de cassation, au terme d’un arrêt du 27 mars 2024. Les faits de l’espèce sont assez classiques : un acheteur professionnel, après avoir pris possession d’un tableau et sans en avoir préalablement payé le prix, fut déçu de son acquisition et rendit l’œuvre à la maison de ventes.
Échaudée, la maison de ventes assigna l’acquéreur en paiement forcé du prix mais fut déboutée par la Cour d’appel de Paris au terme d’un arrêt du 1er juin 2021. Contestée devant la Cour de cassation, cette décision vient de faire l’objet d’un arrêt dit de rejet, permettant d’atténuer la portée qui doit être accordée à la rédaction adoptée par la haute juridiction civile, même si celle-ci a opéré un contrôle normatif dit lourd. En effet, la Cour de cassation juge que « c’est à bon droit » que la cour d’appel a retenu que la maison de ventes « était irrecevable à agir en lieu et place du vendeur en paiement du prix de l’adjudication plus de trois mois après celle-ci, en l’absence de mandat de représentation ou encore au titre de sa responsabilité à l’égard du vendeur de la représentation du prix d’adjudication, en l’absence de paiement du prix à celui- ci et de subrogation dans ses droits ».

Sévère en opportunité, la décision n’en est pas moins éclairante quant aux principes qui doivent dorénavant guider l’action en recouvrement du prix lorsque celle-ci fait l’objet d’une contestation par l’adjudicataire défaillant. Pour qu’une maison de ventes puisse agir seule en recouvrement du prix visé au bordereau, elle doit soit agir dans les trois mois suivant la vente, soit disposer d’un pouvoir spécial de la part de son mandant l’autorisant à agir en son nom et pour son compte, soit avoir d’ores et déjà réglé son mandant, la maison de ventes étant alors créancière de l’intégralité de la somme à recouvrir. Et il doit être rappelé, ainsi que l’avait opportunément fait le Conseil d’État dans sa décision, que le bien ne doit être délivré à l’acheteur qu’à condition que le prix ait été versé ou que des garanties aient été données quant à son paiement. Ce dont la maison de ventes ne s’était malheureusement pas ici assurée.

L’intégralité de l’article est à retrouver dans l’édition française de mai 2024 de The Art Newspaper France.

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des maisons de ventes aux enchères (opérateurs de ventes volontaires et commissaires de justice) dans les contentieux relatifs à la contestation de l’attribution d’une œuvre ou d’un objet d’art, ainsi qu’à la tentative d’engagement de la responsabilité des professionnels de l’expertise. Nous accompagnons également nos Clients dans le recouvrement des bordereaux impayés, que ce soit à Paris ou en tout autre lieu où s’est tenue la vente aux enchères publiques. vocats en droit de l’art et avocats en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).