Protection au titre du droit d’auteur du fauteuil Alpha de Pierre Paulin
Article publié le 2 avril 2024
Combat nécessaire, tant sur un plan symbolique que juridique ou économique, la lutte contre les contrefaçons en matière de design relève souvent d’un parcours du combattant, entre la potentielle difficulté à fonder l’originalité de la création revendiquée, celle attachée à la reconnaissance de la contrefaçon et, enfin, celle relative à l’indemnisation.
Création emblématique de Pierre Paulin (1927-2009), issue de la commande des époux Pompidou pour les salons de l’Élysée au début des années 1970, puis adaptée pour les particuliers par la société Alpha International, un sous-traitant du Mobilier national, le fauteuil et le canapé « Alpha » sont dorénavant édités par la société Paulin Paulin Paulin, créée par à l’initiative des héritiers du designer.
La contrefaçon étant souvent liée à la reconnaissance institutionnelle et marchande d’une œuvre, telle une rançon désolante d’un succès construit et défendu sans cesse, de très nombreuses éditions non autorisées du fauteuil et du canapé ne cessent d’être proposées sur Internet à des prix bradés et dans une qualité fort médiocre. Il arrive parfois que ces contrefaçons soient mêmes proposées dans des boutiques ayant pignon sur rue ou viennent orner des boutiques de marques défendant elles-mêmes leurs propres créations par le biais de la propriété intellectuelle.
C’est ainsi que la veuve de Pierre Paulin découvrait que la société américaine The Frankie Shop exposait dans son magasin parisien deux reproductions non autorisées du fauteuil Alpha créé par le designer français. Après une première mise en demeure de part de l’héritière du designer, titulaire du droit moral, et de la société Paulin Paulin Paulin, titulaire des droits patrimoniaux, la société américaine supprimait des réseaux sociaux les photographies du fauteuil présent au sein de sa boutique parisienne et transmettait l’identité du vendeur de la contrefaçon. Ce dernier était alors été assigné par les titulaires des droits d’auteur du designer devant le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de droit d’auteur.
La reconnaissance de l’originalité du modèle « Alpha »
Afin de pouvoir prétendre à la reconnaissance d’actes de contrefaçon, il est nécessaire pour tout demandeur à l’action de justifier de l’originalité de la création, lors qu’une telle originalité est judiciairement contestée en défense. C’est à ce titre que l’ayant droit de Pierre Paulin et la société Paulin Paulin Paulin furent contraints de démontrer l’originalité du fauteuil « Alpha ». En effet, deux arguments étaient avancés en défense. D’une part, l’assemblage de blocs sur lesquels les requérants fondent l’originalité de l’œuvre relèverait d’une soi-disant considération purement technique et fonctionnelle. D’autre part, les fauteuils Alpha ayant fait l’objet d’un dépôt en tant que modèle français, un tel dépôt mettrait en évidence, selon le défendeur, le caractère technique et non esthétique des caractéristiques mises en avant au titre d’une originalité. De tels arguments sont dûment rejetés par le Tribunal au terme de sa décision du 14 mars 2024.
Au contraire, le Tribunal retient que les requérants « mettent en avant que les choix faits par Pierre Paulin lors de la création du fauteuil Alpha visaient une pièce invitant à la convivialité, à l’intimé et à la douceur ». Plus précisément, le Tribunal énonce que « la structure du fauteuil, avec un pied de faible hauteur, qui est plus petit que l’assise et qui n’est donc plus visible lorsque le fauteuil est installé, donne l’illusion que le fauteuil flotte au-dessus du sol sur lequel il repose, qu’il est léger ». Dès lors, et toujours selon la juridiction, « la combinaison de l’ensemble de ces éléments donne un esthétisme particulier au fauteuil en cause, qui atteste d’un réel effort créatif de la part de Pierre Paulin au moment de la création du premier fauteuil Alpha ». En d’autres termes, la création est bien originale au sens du droit d’auteur.
D’autres critères superflus et contestables pour fonder l’originalité en droit d’auteur
Pour autant, et parmi les autres éléments ayant fondé l’analyse du Tribunal, deux doivent être critiqués en leur principe, dès lors qu’ils semblent fort étrangers au droit d’auteur et ne s’avéraient aucunement pertinents dans la reconnaissance de l’originalité de l’œuvre. En premier lieu, le Tribunal visait le fait que l’assemblage de plusieurs éléments d’apparence arrondie, sans aucun élément de forme raide ou abrupte, « donne une impression visuelle de moelleux et de douceur ». Or, la notion d’« impression visuelle d’ensemble » constitue un critère spécifique au droit des dessins et modèles, autre biais offert par le Code de la propriété intellectuelle pour fonder éventuellement la protection temporaire d’une création relevant du design. Alors même qu’une confusion est de plus en plus souvent entretenue dans l’appréhension d’une même création relevant des arts appliqués, et notamment du design, entre ces deux biais de protection, une telle confusion est ici renforcée par l’emprunt assumé au domaine des dessins et modèles en matière de droit d’auteur, emprunt déjà assumé par le passé par la Cour d’appel de Versailles en matière de photographie par exemple.
En deuxième lieu, le Tribunal semble adopter malgré lui une approche fondée sur le mérite, alors même que l’article L. 112-1 du Code de la propriété intellectuelle exclut expressément un tel critère dans le processus de qualification. C’est ainsi que le Tribunal énonce que l’empreinte de la personnalité de Pierre Paulin qui se reflétait au sein de son fauteuil Alpha est soulignée par « la valeur reconnue aux œuvres de celui-ci dans plusieurs expositions et ventes aux enchères, auprès de professionnels du secteur de l’art ». Bien que cette assertion soit exacte, elle ne présente ni pertinence ni intérêt dans la reconnaissance judiciaire de l’originalité du fauteuil.
Sur la contrefaçon et la banalisation de l’œuvre originale
Une fois l’originalité de l’œuvre de Pierre Paulin reconnue, le caractère contrefaisant des exemplaires litigieux vendus par la société défenderesse à la marque d’habillement américaine devait à son tour être caractérisé. Pareille caractérisation de la contrefaçon ne soulève aucune difficulté pour le Tribunal judiciaire de Paris qui décèle dans les fauteuils litigieux la « reprise des caractéristiques essentielles » de l’œuvre première, avant de préciser que « au surplus, les fauteuils allégués de contrefaçon sont recouverts d’un tissu de même couleur et de même apparence que le fauteuil Alpha original ».
Quant à la réparation des divers préjudices subis, au titre de la vente et de la reproduction sur les réseaux sociaux du contrefacteur des meubles en litige, un seul aspect semble devoir être relevé, dès lors qu’il s’avère assez rare qu’une juridiction du premier degré ne l’accueille : la banalisation de l’œuvre première. C’est ainsi que le Tribunal énonce que « la vente des fauteuils litigieux par un spécialiste revendiqué et reconnu du mobilier design, entraîne une banalisation des œuvres de Pierre Paulin qui entraîne un préjudice moral pour la société Paulin Paulin Paulin qu’il convient de réparer à hauteur de 5.000 euros, ainsi que pour [l’ayant droit du designer] qui sera indemnisée à concurrence de la somme de 3.000 euros ». Cette sanction de la « banalisation » de l’œuvre s’avère hautement appréciable dès lors qu’elle vise précisément à lutter contre une forme d’acceptation sociale de la reprise non autorisée de créations majeures et iconiques du XXe siècle.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des designers, des ayants droit de designer et des sociétés d’édition dans le cadre de la défense de leurs droits et de la promotion de leurs créations. Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et du marché de l’art, et plus généralement au droit d’auteur, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme. Avocats en droit de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, droit d’auteur, droit de la propriété industrielle, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).
À ce titre, notre Cabinet d’Avocats accompagne depuis plusieurs années la succession d’un décorateur-ensemblier majeur du XXe siècle dans la protection de ses droits, notamment par le biais de nombreuses saisies-contrefaçon et procédures en contrefaçon de droits d’auteur tant à Paris qu’en région.