Résiliation judiciaire d’un contrat d’édition pour absence d’exploitation
Article publié le 26 mars 2024
Un auteur avait confié le soin à un éditeur de procéder à la fabrication et à la commercialisation de deux ouvrages de référence sur la céramique au terme de deux contrats d’édition distincts, l’un en date du 22 mai 2003, l’autre en date du 7 mai 2014.
Face aux divers manquements de la maison d’édition, l’auteur décida d’adresser en 2022 une lettre recommandée afin de mettre en jeu la clause résolutoire visée aux articles 5 et 6 des deux contrats d’édition. En effet, l’éditeur aurait manqué, selon l’auteur, à son obligation d’exploitation permanente et suivie (les ouvrages étant indisponibles depuis 2021) et de reddition de comptes (et ce, depuis 2019). Le silence prolongé de l’éditeur imposa à l’auteur d’assigner son ancien partenaire devant le Tribunal judiciaire de Paris, saisi en référé, afin d’exercer son droit d’information sur les conditions réelles de fabrication, de diffusion commerciale et de vente des ouvrages consacrés à la céramique et ce pour les quatre dernières années.
Une première procédure de référé visant à obtenir les informations nécessaires
Au terme de cette première décision du 20 juin 2023, le juge des référés ordonnait alors l’éditeur, et sous astreinte, de communiquer à l’auteur un état certifié par un expert-comptable et accompagné de tous les justificatifs nécessaires (factures, bons de commande, bons de livraison, inventaires, etc.) mentionnant le nombre d’exemplaires fabriqués, vendus, en stock ou détruits pour les exercices 2019, 2020, 2021 et 2022 et le montant des redevances dues ou versées, ainsi que les actions de promotion des œuvres concrètement mises en œuvre auprès des professionnels. Cette injonction judiciaire n’a pourtant pas été pleinement respectée. Ainsi, seuls quatre fichiers de reddition de comptes sur les ouvrages en cause pour les exercices 2019 à 2022 furent envoyés à l’auteur par la maison d’édition.
Une nouvelle procédure pour constater la résiliation de plein droit
C’est pourquoi, le 21 décembre 2023, l’auteur assignait à nouveau en référé la maison d’édition afin que lui soit donné acte de la résiliation de plein droit des contrats de cession de droits d’auteur des 22 mai 2003 et du 7 mai 2014.
Le Tribunal judiciaire de Paris rappelle alors les grands principes régissant les relations entre un auteur et son éditeur et notamment, au visa de l’article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle, le principe cardinal de l’exploitation permanente et suivie de tout ouvrage concerné, cette exploitation devant être accompagnée d’une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession. De la même manière, le Tribunal rappelle, au visa cette fois-ci de L. 132-17-3 du Code de la propriété intellectuelle que si l’éditeur ne satisfait pas à ses obligations de reddition de compte, le contrat est résilié de plein-droit trois mois après mise en demeure de l’auteur non suivie d’effet. Ces principes légaux se retrouvaient également dans les deux contrats concernés avec des précisions quant à la durée d’exécution des obligations imposées à l’éditeur.
Ici, le Tribunal considère, dans sa décision du 20 mars 2024, que la lettre recommandée de février 2022 avait emporté la transmission des redditions des comptes uniquement en juillet 2023, soit plus de douze mois après la demande formulée par l’auteur à son éditeur. Et « une fois celles-ci communiquées, elles ont confirmé que l’ouvrage n’a plus été exploité puisque, pour les années 2019 à 2022, les ventes qui étaient de plusieurs centaines d’exemplaires par an auparavant ont été réduites pour les deux exercices 2021 et 2022 à 21 pour [le premier ouvrage] et 62 pour [le second ouvrage] ».
Par ailleurs, l’auteur produisait un courrier électronique de 2021 de la part de l’éditeur indiquant que les deux ouvrages litigieux étaient en cours de réimpression. Or, selon constat d’huissier du 21 novembre 2022, chaque livre concerné était toujours indisponible sur les sites Internet Chasse-aux-livres, Placedeslibraires, Ombresblanches, Decitre, la Fnac, La procure, Mollat etc., ce qui démontre, selon le Tribunal, que cette réimpression n’a pas eu lieu malgré la mise en demeure précitée.
Dès lors, il ne restait plus qu’à la juridiction saisie de considérer que « les conditions contractuelles de la résiliation de plein-droit sont donc acquises et il y a lieu de le constater ». En d’autres termes le contrat est résilié et l’auteur recouvre l’intégralité des droits sur ses deux ouvrages. Libre à lui dorénavant de les proposer à d’autres maisons d’édition.
Si la présente décision du 20 mars 2024 n’est pas source d’une quelconque nouveauté en la matière, elle permet néanmoins à tout auteur déterminé de comprendre le chemin judiciaire qui l’attend afin de pouvoir obtenir la rétrocession des droits qu’il avait cédés à son éditeur. Il est également nécessaire de se préconstituer l’ensemble des preuves nécessaires à la réclamation judiciaire à advenir.
Tout auteur doit également prêter une attention particulière à la fin de la commercialisation de son ouvrage après qu’il en aura récupéré les droits.
Il s’avère ainsi toujours nécessaire d’adresser les courriers de mise en demeure ou de reprise des droits par lettre recommandée avec accusé de réception, courriers que notre Cabinet réalise régulièrement pour ses clients, auteurs ou ayants droit, en vue de leur permettre une nouvelle exploitation de leurs œuvres. De la même manière, nous accompagnons également nos clients dans le processus d’indemnisation judiciaire ou extra-judiciaire en raison des éventuels manquements contractuels des éditeurs ou dans la défense des droits d’éditeurs indépendants en cas de revendication infondée de la part d’auteurs. Enfin, la situation financière de l’éditeur peut également constituer une cause de la résiliation du contrat d’édition. Ainsi en cas de liquidation judiciaire de l’éditeur, le contrat est résilié.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains, des auteurs de bande dessinée et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs. Notre Cabinet d’Avocats intervient dans la défense des droits des auteurs aussi bien en France qu’en Belgique (Bruxelles).