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Contrefaçon et point de départ du délai de prescription

Article publié le 4 juillet 2023

Série d’animation à succès diffusée entre 2003 et 2007 sur France 3 Code Lyoko avait marqué les esprits d’un grand nombre de ses spectateurs avec son générique et surtout la musique de celle-ci « Un monde sans danger », dont les auteurs en avaient développé une version en anglais. Or, en 2010, de très nombreux Internautes remarquaient de troublantes similarités entre ce morceau et certains passages du nouveau titre des Black Eyed Peas « Whenever », extrait de l’album The Beginning. « Plagiat » ou plutôt contrefaçon contre inspiration fortuite, les positions des créateurs de la musique première et de Fergie et de Will.i.am étaient connues d’avance et un nouveau match judiciaire aurait pu se jouer sur les limites sans cesse interrogées de l’inspiration, de la création et de la réminiscence. Mais ce match ne devrait pas avoir lieu, à moins que la Cour de cassation, saisie par les auteurs de la musique du générique, n’en décide autrement et renverse alors une position dorénavant stabilisée.

En effet, les demandes formées ont été rejetées en raison de la constatation par la Cour d’appel de Paris[1] de la prescription de l’action en contrefaçon formée bien trop tardivement par rapport à la connaissance des faits litigieux et ce, quand bien même le titre litigieux aurait été encore disponible et proposé à la vente par diverses plateformes et sur divers supports. Seule doit être prise en considération la connaissance effective de la part de celui qui se revendique être en droit de contester à tout autre l’utilisation non-autorisée de son œuvre.   

Droit moral imprescriptible vs prescription de l’action en contrefaçon
À cet égard, et dans la continuité de la décision de la Cour de cassation du 13 octobre 2013 et d’autres décisions des juges du fond rendues en la matière, à l’instar de celle de la Cour d’appel de Douai du 22 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris rappelle ici, dans sa décision du 17 mai 2023, que si le droit moral s’avère imprescriptible, toute action fondée sur un tel droit ne l’est pas. En d’autres termes, l’action en contrefaçon, qu’elle prenne appui sur une potentielle violation du droit moral ou des droits patrimoniaux, doit nécessairement être considérée comme une « action en paiement des créances nées des atteintes portées aux uns ou aux autres de ces droits ». Or, cette action s’avère nécessairement soumise à la prescription de droit commun de l’article 2224 du Code civil, disposition qui au-delà de fixer le terme de la prescription de toute action mobilière ou personnelle détermine également le point de départ de la prescription de l’action. Un tel point de départ correspond alors au jour où le titulaire « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».

La détermination du point de départ du délai de prescription
Il n’est parfois pas aisé de déterminer avec précision la date à laquelle l’auteur, son ayant droit ou le titulaire du droit peut être considéré comme ayant connu ou ayant dû connaître le fait litigieux. Pour autant, cette potentielle difficulté probatoire peut être levée lorsque le revendiquant a lui-même fait part de sa connaissance de manière expresse, notamment par le biais d’un courrier, d’un courrier électronique ou encore de tout autre acte adressé à la partie adverse. Tel était ici le cas, la Cour d’appel relevant que le Conseil des auteurs avait mis en demeure les deux membres des Black Eyed Peas, ainsi que leurs éditeurs, le 30 décembre 2011, afin que ceux-ci cessent l’exploitation du titre « Whenever » et versent une provision de 200.000 euros au titre d’un préjudice à parfaire. Le courrier incriminé précisait que la reprise de la mélodie du générique de Code Lyoko par le titre « Whenever » constituait une contrefaçon et qu’à défaut de réponse dans les huit jours, une action judiciaire serait engagée. La Cour d’appel ne pouvait corrélativement qu’en déduire que les deux co-auteurs avaient, à la date du 30 décembre 2011, nécessairement connaissance, au sens de l’article 2224 du Code civil, des faits litigieux leur permettant d’exercer l’action en contrefaçon de leurs droits d'auteur. L’assignation ayant été délivrée le 6 juin 2018, soit plus de cinq années après ce courrier, l’action était alors prescrite.

L’indifférence du potentiel caractère continu de la contrefaçon
Quant aux autres arguments, ceux-ci sont écartés par la Cour qui s’en tient au principe fondamental de la connaissance des faits litigieux. Il en était ainsi des raisons invoquées à l’appui de l’absence de mise en mouvement plus précoce de l’action ou encore de la nécessité de mettre dans la cause l’un des autres co-auteurs. Le seul argument qui puisse appeler ici une attention particulière résulte dans la position soutenue par les requérants qui faisaient prévaloir que l’action en contrefaçon se rapprocherait d’une infraction continue en matière pénale et qu’en conséquence la prescription ne serait pas acquise tant que les faits litigieux n’auraient pas cessé. En contrepoint, les défenseurs prenaient appui sur une décision récente de la Cour de cassation en matière de concurrence déloyale au terme de laquelle la Haute juridiction avait retenu que « alors qu’une action en concurrence déloyale, de nature délictuelle, est soumise au régime de la prescription de l’article 2224 du code civil, la cour d'appel, qui n’a pas fait partir le délai quinquennal du jour où l’association SPA a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, peu important que les agissements déloyaux se soient inscrits dans la durée, a violé le texte susvisé »[2]. La solution dégagée en matière de concurrence déloyale est ici reprise sur le terrain du droit d’auteur dès lors que les actes de contrefaçon reprochés (titre encore dans le commerce en 2018 et disponibilité de celui-ci sur plateformes de téléchargement), soit des actes de commercialisation et de diffusion, ne constituaient « que le prolongement normal de la commercialisation et de la diffusion réalisées antérieurement, dont [les requérants] ont eu incontestablement connaissance au plus tard le 30 décembre 2011 ».

Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des artistes et leurs héritiers confrontés à des problématiques attachées à la reprise non-autorisée de leurs œuvres, que ce soit sur le terrain du droit d’auteur ou sur celui du parasitisme.

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 17 mai 2023, RG no 21/15795.
[2] Cass. com., 26 févr. 2020, n° 18-19153