Le défaut de publication d’un ouvrage par l’éditeur
Article publié le 27 juin 2023
La finalité première du contrat d’édition réside dans la publication de l’ouvrage objet du contrat, sous format papier ou numérique. Pour diverses raisons, l’édition de l’œuvre peut tarder de manière indéfinie, conduisant in fine à la résiliation du contrat. En pareille hypothèse, le sort des droits d’auteur, ainsi que celui des avances concédées à l’auteur doit être envisagé.
Une obligation légale de fabrication ou de production à la charge de l’éditeur
Corollaire de l’obligation de l’auteur de mettre en mesure son cocontractant d’éditer l’ouvrage[1], les législateurs français et belges ont mis à la charge de l’éditeur une obligation tenant à « effectuer ou [de] faire effectuer la fabrication ou la réalisation sous une forme numérique selon les conditions, dans la forme et suivant les modes d’expression prévus au contrat »[2] ou « produire ou faire produire les exemplaires de l’œuvre »[3]. Cette exigence de fabrication ou de production s’avère impérative, de telle sorte qu’elle ne peut être modifiée au sein du contrat conclu entre les parties, mais seulement aménagée.
La nécessité de satisfaire cette obligation au terme d’un délai défini
L’éditeur est tenu de procéder à l’édition de l’ouvrage dans le délai contractuellement convenu ou à défaut de précisions contractuelles, dans un délai fixé « par les usages de la profession »[4] ou « conformément aux usages honnêtes de la profession »[5]. Il s’avère ainsi nécessaire de se référer aux codes des usages établis par les associations et syndicats d’éditeurs et d’auteurs. À cet égard, celui signé conjointement par le Syndicat National de l’Édition et le Conseil Permanent des Écrivains fait mention d’un délai maximum de dix-huit mois à compter de la remise du texte définitif[6]. L’Association des Éditeurs Belges précise que ce délai est usuellement de douze mois suivant l’acceptation du manuscrit bien que celui-ci puisse se prolonger jusqu’à trente-six mois au regard de certains genres et contraintes techniques[7].
L’absence de publication de l’ouvrage dans le délai convenu
À défaut de toute publication par l’éditeur, il est alors possible, en France, de se fonder sur l’article L. 132-17 du Code de la propriété intellectuelle, lequel prévoit que « Le contrat d’édition prend fin […] lorsque : L’éditeur, sur mise en demeure de l’auteur lui impartissant un délai convenable, n’a pas procédé à la publication de l’œuvre ou, en cas d’épuisement, à sa réédition. ». Une telle fin du contrat correspond à une « résiliation [..] de plein droit ».
Cette résiliation du contrat d’édition n’est pas sans conséquence et permet la reprise de ses droits par l’auteur. En effet, l’article L. 132-17-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « la cession des droits d’exploitation sous une forme imprimée est résiliée de plein droit lorsque, après une mise en demeure de l’auteur adressée par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’éditeur ne satisfait pas dans un délai de six mois à compter de cette réception aux obligations qui lui incombent à ce titre ». Le Code de droit économique belge énonce de manière analogue que : « Si l’éditeur ne satisfait pas à son obligation dans les délais définis ci-avant sans pouvoir justifier d’une excuse légitime, l’auteur pourra reprendre ses droits cédés, après une mise en demeure, adressée par envoi recommandé avec accusé de réception, et restée sans effet pendant six mois »[8]. Les exigences posées par les législateurs français et belges sont identiques, à savoir une mise en demeure restée infructueuse pendant une durée de six mois, adressée par courrier recommandé avec accusé de réception à l’éditeur afin que celui-ci se conforme à ses obligations. La spécificité belge réside dans la possibilité pour l’éditeur d’invoquer une « excuse légitime », laquelle n’est aucunement définie tant par la loi que par la jurisprudence, bien qu’elle se distingue des cas de force majeure et semble soumise à l’appréciation des juges.
Le refus de l’édition d’un manuscrit peut être fondé sur un motif sérieux. Toutefois, l’éditeur ne peut se soustraire à son obligation en invoquant la situation du marché de l’édition, laquelle existait préalablement à la conclusion du contrat ou encore le prétendu caractère polémique de l’ouvrage[9].
La résiliation du contrat d’édition et la reprise des droits par l’auteur de l’œuvre devrait ainsi entraîner, par voie de conséquence et selon les dispositions de droit commun, la résiliation des contrats ayant un objet identique, et notamment les éventuels contrats d’édition audiovisuelle ou d’édition numérique.
L’appréciation des préjudices subis par l’auteur
La résiliation aux torts de l’éditeur conduit les juridictions à apprécier les préjudices patrimoniaux et moraux causés par le défaut de publication au détriment de l’auteur. À cet égard, les juges ont pu se fonder sur le nombre d’exemplaires envisagés dans le contrat d’édition et, en conséquence, sur les redevances de droits d’auteur afférentes pour déterminer le montant des préjudices patrimoniaux au bénéfice de l’auteur[10]. S’agissant du préjudice moral, ce même Tribunal a pu caractériser le préjudice subi par l’absence de restitution par l’éditeur du manuscrit à l’auteur, entraînant ainsi l’impossibilité pour celui-ci de le présenter à d’autres maisons d’édition. Une telle situation est particulièrement préjudiciable pour les auteurs de bande dessinée ou en matière d’illustration, dès lors que les planches originales ou les dessins originaux sont souvent remis à l’éditeur afin d’être numérisés.
Le sort des à-valoir versés à l’auteur
Il peut être stipulé au sein du contrat d’édition le versement d’un montant déterminé à l’auteur à-valoir sur sa rémunération ultérieure. La résiliation du contrat interroge quant au sort de ces sommes versées simultanément à la conclusion du contrat ou de manière échelonnée jusqu’à la remise du manuscrit final ou de l’ensemble des planches. À cet égard, la Cour d’appel de Paris a pu considérer que l’auteur d’un ouvrage qui n’avait pas été publié pouvait conserver l’avance consentie par l’éditeur au titre de la signature du contrat en raison de son absence de tort quant à la résiliation du contrat, pour une cause extérieure aux parties. Toutefois, la juridiction saisie a également précisé le sort de ces sommes en cas de torts partagés des parties, l’auteur pouvant conserver l’avance concédée au titre de la signature du contrat mais ne pouvait exiger le versement de celle relative à la « remise et acceptation » de l’ouvrage[11].
La publication d’un ouvrage impose à l’auteur de remettre à l’éditeur l’ensemble des éléments lui permettant de procéder à la production de celui-ci et de porter une attention particulière aux clauses contractuelles, et notamment quant au délai de publication. L’éditeur ayant consenti à la publication de celui-ci ne peut contraindre l’auteur à modifier son ouvrage et suspendre sa publication.
Un article écrit par Me Adélie Denambride
Avocat Collaborateur
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[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-9. En Belgique, il n’existe pas de dispositions légales spécifiques quant à cette obligation et il doit être renvoyé au droit commun.
[2] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-11 alinéa 1er.
[3] Code de droit économique belge, article XI. 186 §1er alinéa 1er.
[4] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-11 alinéa 4.
[5] Code de droit économique belge, article XI. 186 §1er alinéa 2.
[6] Code des usages de l’édition, Conseil Permanent des Écrivains et Syndicat National de l’Edition, 1981 et son avenant du 1er décembre 2014.
[7] Code des usages de l’Association des Éditeurs Belges, 2012.
[8] Code de droit économique belge, article XI. 196.
[9] Tribunal de première instance de Bruxelles, 9 févr. 1995, no F-19950209-13.
[10] Ibid.
[11] CA Paris, pôle 5, ch. 1, 11 mai 2022, RG no 20/11386.