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Le webtoon : entre innovation artistique et nécessaire prudence juridique

Article publié le 12 mai 2023

Le webtoon (contraction de « web » et « cartoon ») consiste en une bande dessinée numérique destinée à être lue sur une tablette ou un smartphone, le lecteur faisant défiler les vignettes verticales. Originaires de Corée du Sud et issus de la culture manhwa, les webtoons se sont désormais importés en France et en Belgique. Delitoon annonçait dès 2016 l’ouverture d’une plateforme spécialisée, les Éditions Dupuis ont ensuite lancé, en 2019, leur propre plateforme de webtoons, dénommée Webtoon Factory, avant que Delcourt lance sa plateforme dédiée, Verytoon, en 2021. Et c’est désormais au tour de Picsou Magazine de se tourner vers ce nouveau médium, en annonçant la création de la plateforme Ducktoon en 2023. L’intérêt pour ce médium se manifeste également par l’institution d’un prix international, le Eisner Awards for Best Webcomic depuis 2017 et l’adaptation d’un des plus célèbres webtoon, Hellbound de Yeon Sang-Ho & Choi Gyu-Seok (Verytoon/Kbooks), en série Netflix.

L’intérêt croissant autour de ce médium met en exergue son nécessaire encadrement contractuel et la réflexion à mener sur l’adaptation des conditions d’exploitation attachées au contrat d’édition.

Des épisodes livrés par les auteurs aux éditeurs
Dans le cadre du contrat d’édition, généralement conclu ici pour une série, l’auteur s’engage à livrer à l’éditeur des épisodes composant une saison du webtoon. Les modalités de délivrance de ces épisodes n’est pas un point à négliger, en ce que le rythme inhérent à la diffusion des épisodes, généralement hebdomadaire, pourrait mettre en exergue des contraintes temporelles difficiles à respecter. Dans ce cadre, l’auteur doit être particulièrement attentif aux modalités de livraison des épisodes en négociant la diffusion de ceux-ci à compter de la livraison intégrale des épisodes composant une saison déterminée. De la même manière, la périodicité des saisons doit elle-même faire l’objet d’une attention particulière pour les auteurs.

Une cession de droits patrimoniaux à encadrer
Le contrat d’édition, conclu entre un auteur et un éditeur ou une plateforme de webtoons, consiste en la cession par le premier aux seconds du « droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour [l’éditeur] d’en assurer la publication et la diffusion »[1]. A l’instar de tout contrat de cession, les droits cédés dans ce cadre doivent être déterminés expressément par écrit[2]. En effet, tout mode d’exploitation non expressément cédé par l’auteur lui reste acquis, c’est-à-dire qu’il n’est pas cédé au bénéfice de l’éditeur. La rédaction de la clause de cession de droits nécessite une vigilance particulière, notamment quant à une potentielle cession des droits de merchandising relatifs aux produits dérivés.

La nécessité de (re)négocier la rémunération afférente, voire de conclure un contrat annexe se caractérise lorsque les parties envisagent la possibilité d’une exploitation sous format papier, celle-ci marquant une réminiscence de la logique contractuelle habituelle en matière d’édition. Une attention particulière devra néanmoins être portée à ce changement de support, bousculant nécessairement la narration à l’œuvre dans un webtoon. Un tel changement de support emportera une adaptation de l’œuvre première et assurément une intervention de l’auteur pour adapter son œuvre ou en superviser l’adaptation. Car de la bande dessinée strictement digitale, avec ses codes spécifiques notamment sur les dimensions des cases, à la bande dessinée sous format papier, les changements peuvent s’avérer particulièrement importants. En ce sens, le webtoon ne fait que renouer avec une certaine histoire de la bande dessinée, où les publications régulières dans des revues faisaient ensuite l’objet d’une adaptation lors de la publication distincte sous forme d’album, publication qui pouvait engendrer la modification de certains arcs narratifs ou de transitions entre planches.

En tout état de cause, une distinction doit être faite entre les plateformes de webtoons et les maisons d’éditions qui peuvent gérer des plateformes de webtoons, en ce que les premières ne sont que rarement concernées par de telles spécificités.

Une rémunération à négocier
Les webtoons sont publiés sur des plateformes spécialisées, en accès gratuit ou payant. Il n’est pas rare que ces plateformes fassent usage du freemium, stratégie commerciale de proposition de produits sans contrepartie financière pendant un temps limité, afin d’attirer un nombre important d’utilisateurs. Une telle pratique correspond également aux codes et usages de cette communauté de lecteurs. L’auteur est en principe rétribué selon une rémunération proportionnelle[3]. Pour autant, l’assiette de la rémunération peut être sujette à discussion lorsque celle-ci s’avère aléatoire, que des épisodes sont diffusés gratuitement sur la plateforme ou encore que les abonnements sous forme de bouquets ne permettent pas de tenir compte des épisodes téléchargés ou visualisés.

Une vigilance particulière doit ainsi être mise en œuvre en distinguant les assiettes de rémunération pour les œuvres proposées gratuitement par la plateforme, celles devant être payées individuellement ou encore lorsqu’un abonnement est proposé au lecteur. En principe, l’auteur perçoit, lors de la signature du contrat ou la remise des épisodes, un à-valoir en déduction de la rémunération à venir et due au titre de l’exploitation du webtoon. 

Le respect du droit moral de l’auteur
Dans le cadre de l’exploitation du webtoon, l’éditeur doit nécessairement respecter le droit moral de l’auteur[4] et, par conséquent, mentionner son nom et respecter l’intégrité de l’œuvre, en s’abstenant de modifier les couleurs, la taille des vignettes ou encore en ajoutant des publicités intempestives de nature à porter atteinte à cette intégrité. À ce titre, le législateur français a introduit une certaine tolérance en matière d’œuvres audiovisuelles en octroyant la possibilité d’effectuer au maximum deux interruptions publicitaires lors de la diffusion de l’œuvre par un service de télévision, excluant de son champ les messages d’auto-promotion[5]. Une telle tolérance n’est pas applicable aux webtoons et nécessiterait alors l’intervention du législateur, qui pourrait éventuellement se prononcer sur ce point au regard de la nature même des plateformes et du médium concerné. À défaut d’une telle exception légale, le principe demeure donc celui de l’interdiction de l’insertion de telles publicités.

En tout état de cause, la caractérisation d’une atteinte à l’intégrité de l’œuvre peut être tempérée par les nécessités de modifications inhérentes au support utilisé. Les contrats soumis au droit belge peuvent se permettre davantage de liberté que ceux conclus avec un éditeur français, en ce que l’article XI. 165§2 du Code de droit économique permet à l’auteur de renoncer expressément à l’exercice de ce droit. Ainsi, il pourrait être envisageable, au sein d’un tel contrat et à condition de le mentionner précisément, de prévoir l’adjonction de publicités, la modification de couleurs, mais également la possibilité pour l’auteur de renoncer à ce que son nom soit mentionné lors de l’exploitation du webtoon. Une telle renonciation n’est pas sans limite car l’auteur conserve toujours le droit de s’opposer aux atteintes portées à l’œuvre « préjudiciables à son honneur ou à sa réputation »[6] quand bien même les droits concernés auraient fait l’objet d’une renonciation.

Enfin, et à nouveau, l’attention à porter au parfait respect du droit moral de l’auteur d’un webtoon devra être à l’œuvre lors de toute adaptation sous format papier ou sous format audiovisuel.

Bien que ne faisant pas l’objet d’un encadrement juridique spécifique, le webtoon acte une évolution du médium de l’œuvre numérique, nécessitant de porter une vigilance particulière à son exploitation afin que les droits des auteurs de bande dessinée soient pleinement respectés.

Un article co-écrit par Alexis Fournol, Avocat Associé, et Adélie Denambride, Avocat Collaborateur.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des auteurs de bande dessinée, des écrivains et des auteurs jeunesse, tant français qu’étrangers, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits d’auteur en justice. Le Cabinet accompagne des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs. Notre Cabinet d’Avocats a conseillé des auteurs et autrices de webtoon dans la négociation de leur contrat d’édition avec des éditeurs français et belges de premier plan.

[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 132-1. Bien qu’il soit également encadré par les articles XI. 195 et suivants du Code de droit économique belge, un tel contrat ne faisant pas l’objet de définition légale en droit belge.

[2] Un tel principe ressort de l’article L. 131-3 al. 1er du Code de la propriété intellectuelle français et de l’article XI. 167§1 du Code de droit économique belge.

[3] Code de la propriété intellectuelle, article L. 131-4 ; Code de droit économique belge, article XI. 167/1.

[4] Code de la propriété intellectuelle, article L. 121-1 al. 1er ; Code de droit économique belge, article XI.165§2.

[5] Loi no 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

[6] Code de droit économique belge, article XI.165§2 dernier alinéa, lequel reprend l’article 6(1) de la Convention de Berne.