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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

La mévente d’ouvrages et ses conséquences pour l’auteur

Bien que le contrat d’édition soit réglementé par des dispositions spéciales au sein du livre Ier du Code de la propriété intellectuelle[1], les usages du milieu de l’édition octroient une certaine liberté dans la rédaction de ses dispositions contractuelles. La clause de mévente, entendue comme celle accordant à l’éditeur le droit de solder ou de détruire le stock de livres en cas de mévente de l’ouvrage, est l’une d’entre elles. La mévente est caractérisée lorsque la vente annuelle de l’ouvrage est inférieure à un certain pourcentage du tirage ou lorsque l’éditeur a en magasin un stock d’exemplaires de l’ouvrage plus important qu’il ne le juge nécessaire pour assurer les demandes courantes pour la vente[2].

Or, et dans cette situation, l’auteur qui est parvenu à faire publier son manuscrit, ne fait pas toujours attention aux conditions dans lesquelles l’éditeur s’arroge le droit de mettre en solde ou de détruire son œuvre littéraire. Pourtant un tel droit octroyé à l’éditeur peut directement impacter la rémunération de l’auteur et, par là-même, influer sur la relation entre les parties.

Les obligations de l’éditeur en matière de publication d’ouvrage
Le Code de la propriété intellectuelle prévoit que le contrat d’édition est le contrat par lequel l’éditeur bénéficie du droit de fabriquer ou de faire fabriquer des exemplaires de l’œuvre[3]. Le nombre minimum d’exemplaires constituant le premier tirage doit être indiqué au sein du contrat[4]. Toutefois, aucune obligation légale n’existe à la charge de l’éditeur de vendre un minimum d’ouvrages ou d’inclure ce minimum au sein du contrat. La seule obligation incombant à l’éditeur est libellée en des termes généraux et consiste à « assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession »[5]. Les tribunaux associent à une telle obligation de diffusion commerciale une obligation de promotion contribuant à « donner [à l’ouvrage] toutes ses chances de succès auprès du public »[6]. Dès lors, une situation caractérisée de mévente pourrait être expliquée par un manquement de l’éditeur à ses obligations[7]. Une telle obligation de promotion s’apprécie comme étant une obligation de moyens[8] de telle sorte que l’auteur doit rapporter la preuve que l’éditeur n’aurait pas procédé à une diffusion commerciale suffisante de son œuvre[9].

L’accord interprofessionnel du 20 décembre 2022 conclu entre les auteurs et les éditeurs prévoit par exemple que l’éditeur est tenu, dans le cadre de l’édition sous une forme imprimée, de (i) présenter l’ouvrage sur les catalogues, (ii) indiquer sa disponibilité dans les bases de données, (iii) rendre l’ouvrage disponible dans une qualité respectueuse de l’œuvre et (iv) livrer les commandes des libraires dans des délais raisonnables[10].

L’auteur peut mettre en demeure l’éditeur de respecter ses obligations d’exploitation commerciale de l’ouvrage, par le mécanisme de l’article L. 132-17-2 du Code de la propriété intellectuelle. Ce mécanisme peut être envisagé afin de donner l’opportunité d’un succès futur ou de mettre fin au contrat à défaut d’exécution de l’éditeur sous six mois. En tout état de cause, le manquement de l’éditeur à de telles obligations peut également fonder une résiliation judiciaire du contrat d’édition à ses torts[11].

Les conséquences sur la rémunération de l’auteur
En cas de ventes insuffisantes de l’ouvrage, l’auteur peut, dans certains cas expressément définis à l’article L.132-6 du Code, bénéficier d’une rémunération forfaitaire fixée annuellement pour la durée du contrat, auquel cas il aura la garantie d’être rémunéré invariablement sans se préoccuper du succès commercial de son livre. Toutefois, le principe de la rémunération de l’auteur au titre d’un contrat d’édition est celui de la rémunération proportionnelle, versée sous forme d’un à-valoir dès la signature ou par tranches successives, puis d’un pourcentage allant de 5 à 10% en moyenne du prix de vente hors taxe de l’œuvre. Dès lors, l’inscription d’une clause en cas de mévente, autorisant l’éditeur à vendre à prix soldés les ouvrages restants, diminue considérablement l’assiette sur laquelle s’applique le pourcentage de redevances dues à l’auteur et en conséquence la rémunération finale de l’auteur. L’auteur peut donc avoir intérêt à fixer contractuellement un prix minimum en-dessous duquel il ne souhaite pas que son livre soit vendu voire inscrire la destruction de son livre afin de ne pas voir son œuvre bradée dès lors qu’il prend conscience des faibles revenus qu’il pourrait tirer de la vente des exemplaires restants.

Les adaptations envisagées en cas de mévente
Une fois fabriqués, les ouvrages sont envoyés par les éditeurs aux diffuseurs, libraires et plateformes de vente sur Internet, qui ont la possibilité de renvoyer les exemplaires invendus. En effet, l’article L. 132-17-4-1 du Code de la propriété intellectuelle autorise la pratique de la provision sur retours à la condition de l’inscrire dans le contrat. Conséquence directe de la mévente, la provision sur retour permet à l’éditeur d’anticiper les retours des libraires et de déterminer les conditions de délais après la publication de l’œuvre dans lesquelles l’éditeur peut constituer une provision pour retours d’exemplaires invendus et déterminer le principe de calcul qui sera appliqué[12]. Pour autant, une telle provision ne peut plus être constituée au-delà des trois premières redditions de comptes annuelles, lesquelles sont à la charge de l’éditeur à compter de la publication de l’ouvrage[13].

Enfin, et dans un objectif de transparence bienvenu pour l’auteur qui place sa confiance en l’éditeur, il pourrait être inséré au sein de la clause de mévente une obligation d’information à la charge de l’éditeur, lorsque celui-ci procède à une destruction d’exemplaires ou à une mise en solderie du stock restant. À l’avenir, ces clauses qui visent à diminuer le risque économique pris par l’éditeur pourront être amenées à évoluer si se développe davantage l’impression à la demande. Ce système d’impression en continu qui vise à éviter les frais de stockage, permet également à l’éditeur de ne lancer la fabrication d’un ouvrage qu’une fois que celui-ci à été commandé par un lecteur.

Un article écrit par Espéranza de La Forest Divonne
Stagiaire EFB au sein du Cabinet entre janvier et juin 2023.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des auteurs de bande dessinée, des écrivains et des auteurs jeunesse, tant français qu’étrangers, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits d’auteur en justice. Le Cabinet accompagne des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] Et notamment aux articles L.132-1 à L.132-17-9 du Code de la propriété intellectuelle.

[2] La formulation peut varier selon la volonté des parties.

[3] Code de la propriété intellectuelle, article L.132-1.

[4] Code de la propriété intellectuelle, article L.132-10.

[5] Code de la propriété intellectuelle, article L.132-12.

[6] CA Paris, 23 déc. 1969 : D. 1970. 119, ; CA Paris, 4e ch. B, 18 avr. 1991, RJDA 1991, no 671.

[7] CA Rennes, 16 septembre 2022, no 19/03935

[8] CA Paris, 4e ch., sect. A, 25 juin 2008, RG no 07/02571.

[9] Cass. civ. 1re, 29 juin 1971 no 71-10.900, les juges ayant décidé, en matière de contrat d’édition musicale, que « l’arrêt a pu estimer, au vu des contrats intervenus, qu’en l’espèce, les éditeurs avaient contracté une obligation déterminée d’assurer la diffusion des œuvres par disques, et non pas une simple obligation de moyens ». Sur la charge de la preuve : CA Paris, 4e ch. B, 24 oct. 2003 : Propr. Intell. 2004, no 10, p. 559.

[10] Accord interprofessionnel du 20 décembre 2022 entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition.

[11]  CA Rennes, ch. 2e, 16 sept. 2022, RG no 19/03935 pour une résiliation judiciaire aux torts de l’éditeur en raison d’une promotion insuffisante.

[12] L’article 132-17-4-1 fut créé par la Loi no 2021-1901 du 30 décembre 2021 « visant à conforter l’économie du livre et à renforcer l’équité et la confiance entre ses acteurs ».

[13] Accord interprofessionnel du 29 juin 2017 relatif à la provision pour retours entre le Conseil permanent des écrivains et le Syndicat national de l’édition.