Délivrance contrainte d’un certificat d’exportation
Le tribunal administratif de Paris vient d’enjoindre à la ministre de la Culture de délivrer le certificat d’exportation permettant la sortie définitive du territoire français de l’étude pour un Saint-Sébastien attribuée à Léonard de Vinci.
Sept ans après son attribution à Léonard de Vinci, le dernier dessin du maître encore en mains privées en France vient enfin de bénéficier d’un certificat d’exportation dont la délivrance par le Ministère de la Culture a été contrainte par la juridiction administrative après nombre de péripéties dont seul le marché de l’art a le secret. Lorsque le propriétaire de l’œuvre a confié un ensemble de dessins hérités de son père à l’étude Tajan, aucune attribution aussi prestigieuse n’était alors accordée à cette étude italienne du XVIe, belle endormie durant un demi-siècle. Il fallut l’expertise successive de Patrick de Bayser et de Carmen C. Bambach, spécialiste du maître Florentin et conservatrice au Metropolitan Museum de New York, pour que l’œuvre soit pleinement attribuée à Léonard de Vinci et intègre la catégorie des « sleepers » célèbres et attendus par les amateurs. Et afin d’assurer au dessin toutes les garanties de succès commercial aux enchères possibles, une demande de certificat d’exportation fut déposée pour permettre la libre circulation de l’œuvre sur le marché international et attiser ainsi l’intérêt des éventuels acquéreurs étrangers, institutionnels ou non. La demande fut néanmoins rejetée et le dessin classé en tant que trésor national par arrêté ministériel du 23 décembre 2016 au motif que « ce précieux feuillet, qui semble avoir été conservé dans l’atelier du maître et réutilisé postérieurement, représentant un jalon supplémentaire dans la connaissance de l’évolution de la composition parmi la série des saint Sébastien et des expériences scientifiques de Léonard de Vinci et une œuvre à double face, emblématique de deux des domaines d’excellence de ce génie universel ».
Un prix de vente trop élevé
Un tel classement emporte la mise en œuvre d’une procédure au bénéfice de l’État qui dispose d’un délai de trente mois afin de formuler ou non une proposition d’achat. Les contours et les modalités de fixation d’une telle proposition s’avèrent strictement encadrés par le Code du patrimoine, qui envisage une procédure gigogne en fonction des dissensions pouvant émerger entre la puissance publique et le propriétaire. Le 9 juillet 2019, et après une première expertise, l’État présentait une offre d’achat pour un montant de 10 millions d’euros, que le propriétaire refusait dans le délai de trois mois imposé par le Code du patrimoine. Le refus d’une première offre par le propriétaire impose corrélativement la nomination de deux experts désignés par chaque partie. Les deux spécialistes conclurent à une valeur de 15 millions d’euros, valeur dorénavant trop importante pour que l’État formule une nouvelle offre d’acquisition. Le 7 décembre 2020, la ministre de la Culture annonçait formellement sa renonciation à faire intégrer l’œuvre au sein des collections publiques. Fort d’une telle renonciation, le propriétaire réitérait sereinement sa demande de délivrance d’un certificat d’exportation en septembre 2020.
Mais la sérénité fit place à la stupéfaction lorsqu’en janvier 2021, la ministre de la Culture indiquait au propriétaire qu’elle considérait dorénavant qu’il existait des présomptions graves et concordantes que le dessin provienne d’un délit, en l’occurrence d’un vol. Pour éviter une suspension potentiellement infinie de la procédure de délivrance, le propriétaire se voyait contraint de justifier de la provenance licite du bien dans un délai de quatre mois, alors même qu’aucune raison apparente ne semblait pouvoir malmener la chaîne de droits sur l’œuvre et son pedigree et qu’une telle hypothèse n’avait jamais été soulevée lors de l’offre d’achat formulée par l’État.
Une suspension de la procédure
À défaut de décision administrative de rejet de délivrance ou de déclaration expresse d’irrecevabilité, le propriétaire saisissait le Tribunal administratif de Paris pour contraindre l’État à lui délivrer le précieux sésame permettant la mise en vente de l’œuvre en dehors du territoire national et sa libre circulation sur un marché mondialisé. Au terme de sa décision du 20 octobre 2023, la juridiction administrative rappelle que si, par principe, l’administration ne peut plus refuser la délivrance d’un tel certificat lorsque le ministre n’a pas formulé de proposition d’achat, il demeure toujours possible – depuis la loi du 7 juillet 2016 – de suspendre l’instruction de la demande de délivrance, lorsqu’il existe des présomptions graves et concordantes que le bien appartient au domaine public, a été illicitement importé, constitue une contrefaçon ou provient d’un autre crime ou délit. En pareille hypothèse, l’autorité administrative doit informer le demandeur, par une décision motivée, de la suspension de l’instruction et lui demande de justifier du déclassement du domaine public, de l’authenticité du bien ou de la licéité de sa provenance ou de son importation. Or, selon le Tribunal administratif, pour justifier d’une telle suspension, « l’administration s’est fondée sur la circonstance qu’une tierce personne aurait déposé […] une plainte pour vol concernant le dessin en litige. Le procès-verbal de l’audition […], relate la disparition alléguée par le plaignant de plusieurs biens culturels au cours des années 2015 et 2016, à la suite du décès des parents du plaignant, sans mention du dessin litigieux. Il ne contient en outre aucun élément permettant d’identifier l’auteur du délit allégué ».
En d’autres termes, seule une plainte simple ne visant pas spécifiquement le propriétaire ou le dessin avait été utilisée par l’administration pour tenter de justifier la nécessaire suspension de la procédure de délivrance du certificat d’exportation, alors même que le Code du patrimoine impose la preuve de « présomptions graves et concordantes », ainsi qu’une obligation de motivation. Pour le Tribunal, de tels éléments ne sauraient permettre de considérer que pareilles présomptions puissent en elles-mêmes fonder l’assertion selon laquelle le bien proviendrait d’un vol. Dès lors, l’instruction de la demande ne pouvait avoir été légalement suspendue et une décision implicite de délivrance du certificat d’exportation était née en janvier 2021 au bénéfice du propriétaire. Ce dernier était ainsi fondé à demander l’annulation de la décision suspendant la délivrance du certificat d’exportation et à obtenir corrélativement du Tribunal qu’il enjoigne la ministre de la Culture de délivrer le document.
Pareille décision est heureuse afin d’éviter tout recours abusif aux nouvelles dispositions de l’article L. 111-3-1 du Code du patrimoine et d’assurer le parfait respect des droits de la défense de tout administré qui doit pouvoir se prévaloir d’un réel débat contradictoire à partir d’éléments probatoires dûment rapportés par l’administration. Tel est parfois le cas, à l’instar de la décision du Tribunal administratif de Paris du 17 février 2023 qui avait validé la décision de l’administration suspendant la procédure de délivrance d’un certificat pour deux sculptures de la Renaissance ayant orné le tombeau de Jean de Morvillier, faute pour le requérant de parvenir à prouver que les sculptures avaient en leur temps fait l’objet d’un déclassement du domaine public.
Cet article est à retrouver dans l’édition française de novembre 2023 de The Art Newspaper.
Un article écrit par Me Alexis Fournol,
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.