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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Résiliation d’un contrat d’édition aux torts de l’éditeur

Le défaut d’exécution par un éditeur des obligations qui sont les siennes peut engendrer tant la résiliation du contrat conclu avec l’auteur que l’indemnisation des préjudices subis par celui-ci.

Plusieurs auteurs, dont des illustrateurs, reprochaient ainsi à une société d’édition spécialisée dans la publication d’ouvrages destinés à la jeunesse un certain nombre d’inexécutions contractuelles depuis plusieurs années. Parmi les griefs des auteurs à l’encontre de leur éditeur, certains relevaient de l’exécution des obligations mises à la charge de l’éditeur par le Code de la propriété intellectuelle et d’autres de l’obligation de paiement des sommes dues. Ainsi, l’éditeur aurait notamment failli dans l’exécution de son obligation de reddition de comptes et de son obligation d’exploitation sérieuse et de bonne foi des ouvrages concernés par la procédure initiée devant le Tribunal judiciaire de Paris après des mises en demeure restées infructueuses.

À l’inverse, l’éditeur invoquait en défense l’arrêt de travail de son gérant afin de tenter d’expliquer le retard pris dans l’exécution des obligations mises à sa charge. De la même manière, l’éditeur soutenait avoir depuis lors exécuté l’ensemble de ses obligations, de sorte qu’il n’y avait lieu ni à résiliation des contrats d'édition, ni à indemniser un quelconque préjudice. Le Tribunal judiciaire de Paris ne suivit pour autant aucunement cette argumentation au terme d’une décision du 10 mai 2022, décision qui permet d’opérer certains rappels relatifs au cadre juridique du contrat d’édition, que celui-ci concerne des œuvres littéraires ou des œuvres illustrées.

Les obligations à la charge de tout éditeur
Faisant preuve de pédagogie, le Tribunal rappelle ainsi les dispositions spéciales qui prévalent en matière d’édition et notamment celles qui s’imposent à l’éditeur. Ainsi, aux termes de l’article L. 132-1 du Code de la propriété intellectuelle, le contrat d'édition est le contrat par lequel l’auteur d'une œuvre de l’esprit ou ses ayants droit cèdent à des conditions déterminées à une personne appelée éditeur le droit de fabriquer ou de faire fabriquer en nombre des exemplaires de l’œuvre ou de la réaliser ou faire réaliser sous une forme numérique, à charge pour elle d'en assurer la publication et la diffusion.

À cette cession au bénéfice de l’éditeur répond un ensemble d’obligations mises à sa charge. C’est pourquoi, l’article L. 132-13 du même Code dispose que l’éditeur est tenu de rendre compte. L’auteur pourra, à défaut de modalités spéciales prévues au contrat, exiger au moins une fois l’an la production par l’éditeur d’un état mentionnant le nombre d'exemplaires fabriqués en cours d’exercice et précisant la date et l’importance des tirages et le nombre des exemplaires en stock. Sauf usage ou conventions contraires, cet état mentionnera également le nombre des exemplaires vendus par l’éditeur, celui des exemplaires inutilisables ou détruits par cas fortuit ou force majeure, ainsi que le montant des redevances dues ou versées à l’auteur. Et de la même manière, l’article 132-17-3 dudit Code énonce notamment que l’éditeur est tenu pour chaque livre de rendre compte à l’auteur du calcul de sa rémunération de façon explicite et transparente. Enfin, l’article L. 132-12 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’éditeur est tenu d’assurer à l’œuvre une exploitation permanente et suivie et une diffusion commerciale, conformément aux usages de la profession. Et ici, le Tribunal rappelle que « s’il incombe à l’éditeur de démontrer l’exécution de ses obligations d’exploitation permanente et suivie et de diffusion commerciale de l’œuvre conformément aux usages de la profession, il appartient à l’auteur de préciser en quoi l’éditeur a manqué à ses obligations sans qu’il y ait pour cela un renversement de la charge de la preuve ». 

Défaut d’exécution, restitution des droits et indemnisation des préjudices subis
Le Tribunal retient alors de manière constante pour l’ensemble des auteurs impliqués dans le procès, que l’éditeur ne démontre pas avoir exécuté ses obligations dans les délais impartis. De manière équivalente, le Tribunal retient à l’encontre de l’éditeur le fait que les communications des éléments demandés ont été réalisées hors délai et surtout les états des comptes n’étaient accompagnés d’aucune pièce justificative permettant à l’auteur d’en vérifier l’exactitude. Et, en tout état de cause, l’état de santé de son gérant ne pouvait aucunement expliquer un tel retard dans l’exécution des obligations, dès lors que l’arrêt de travail était antérieur aux inexécutions reprochées. Par conséquent, « l’absence de reddition de comptes et de versement de la rémunération éventuellement due à l’auteure, obligations légales et essentielles du contrat d’édition, constituent des manquements qui justifient la résiliation » des contrats d’édition aux torts exclusifs de l’éditeur.

Au-delà de la seule constatation de la résiliation des contrats conclus, le Tribunal indemnise également les auteurs des préjudices subis. Ceux-ci sont de plusieurs natures. Le retard dans l’exécution des obligations de reddition de comptes et de paiement donne lieu à la réparation d’un préjudice financier assez symbolique. Le manquement à l’obligation d’exploitation sérieuse et de bonne foi est également réparé. Enfin, des mesures d’interdiction, de destruction et de publication judiciaire sont également ordonnées à la seule charge financière de l’éditeur condamné. Les mesures de destruction et d’interdiction sont ici justifiées par la rétrocession des droits au bénéfice des auteurs concernés afin d’éviter que toute exploitation future ne soit perturbée par l’éditeur condamné.

La fin d’un contrat d’édition aux torts de l’éditeur peut emporter ainsi un nombre de conséquences importantes au bénéfice de l’auteur. Celui-ci est réinvesti des droits qu’il avait cédés – de manière générale de façon exclusive – et peut ainsi proposer l’édition de son œuvre à un autre éditeur plus diligent. Par ailleurs, l’auteur peut solliciter l’indemnisation des préjudices subis et notamment ceux résultant d’une exploitation qui n’aurait pas épousé les attentes légitimes qui étaient les siennes. Tel sera notamment le cas lorsque l’ouvrage concerné avait rencontré une estime critique et publique.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

De la même manière, et dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger. Notre Cabinet a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées ou illustrateurs français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée.