Contrefaçon d’un ouvrage en raison de l’exploitation hors délai par un éditeur
La Cour d’appel de Paris vient de rappeler, le 18 février 2022, que la prorogation de l’exploitation d’un ouvrage, non convenue de concert entre les parties, constitue une contrefaçon dès lors qu’elle est hors délai de la période contractuellement arrêtée.
Une autrice de romans avait écrit en 2010, sous un nom d’emprunt, un premier ouvrage. Souhaitant parvenir à le faire publier, elle s’était alors rapprochée d’une société éditrice dont le site Internet annonçait aider les jeunes auteurs à diffuser leurs œuvres. Un contrat fut alors signé au début de l’année 2013, pour une durée déterminée de 18 mois, afin de permettre l’impression, la reproduction, la publication, la promotion et la vente de l’ouvrage concerné. Ce premier roman ayant connu un certain succès (plus de 2.500 exemplaires papiers et près de 500 exemplaires numériques furent vendus), l’auteur décida de procéder à l’écriture de la suite de ce premier volet. Ce second opus donna lieu à l’envoi par l’éditeur d’un contrat d’édition dans les mêmes conditions, qui ne fut jamais signé, et à la sortie de l’ouvrage. L’éditeur informa l’autrice en octobre 2015 de sa volonté de résilier les contrats conclus, ce à quoi s’opposa sa cocontractante en reprochant corrélativement à son éditeur de ne pas lui avoir versé ses droits d’auteur, tant sur le premier ouvrage dans la période de septembre 2014 à octobre 2015, que sur le second ouvrage de juillet à octobre 2015, tout en ayant préjudicié à sa carrière du fait de ses manquements contractuels. Un an et demi après ces échanges, l’autrice assignait son ancien éditeur devant le Tribunal judiciaire de Paris pour contrefaçon de ses droits d’auteur et pour un certain nombre de manquements contractuels qu’elle lui reprochait. La Cour d’appel de Paris vient ainsi de conforter, le 18 février 2022, l’existence d’une contrefaçon à l’encontre de l’éditeur des deux ouvrages en litige[1].
La durée limitée des contrats conclus
Les deux contrats signés par les parties prévoyaient qu’ils étaient conclus « pour la durée de 18 mois à compter de sa signature. Cette durée pourra être réduite ou prorogée sur accord des parties ». Selon la Cour, le premier contrat, signé le 20 février 2013, était donc parvenu à son terme le 20 août 2014 et il ne résultait d’aucun élément de la procédure qu’il ait été prorogé par tacite reconduction. Le second contrat, conclu le 20 avril 2014, arrivait quant à lui à expiration le 20 octobre 2015. Or, dès lors que la société éditrice avait pris l’initiative de notifier à l’autrice la résiliation des deux contrats par une lettre recommandée en date du 7 octobre 2015, il s’ensuivait nécessairement qu’à compter de cette date, l’éditeur ne bénéficiait plus d’aucune autorisation de l’auteur pour exploiter ces ouvrages.
Pour autant, l’autrice a réussi à prouver que le premier livre était disponible en format papier et en format numérique deux mois après la lettre de résiliation, puis cinq mois et huit mois après sur différents sites Internet dont une partie de l’activité est dédiée à la vente de livres. De la même manière, le second ouvrage était également disponible sur ces plateformes en avril 2016. Selon la Cour, la commercialisation des ouvrages était manifestement imputable à la société éditrice, dont le nom est mentionné sur les sites visés et ce, en qualité d’éditeur. Or, la contrefaçon étant définie par l’exploitation de l’œuvre sans l’autorisation de l’auteur, celle-ci est ainsi caractérisée pour les deux ouvrages l’autrice.
Une telle situation aurait assurément pu être évitée si la société éditrice avait prévu des stipulations contractuelles permettant d’apurer son stock des ouvrages concernés pendant une durée convenue par les deux parties. Pour autant, la présente décision opère un rappel nécessaire concernant les contrats conclus pour une durée déterminée et la vigilance à laquelle doivent s’astreindre les éditeurs en cas de fin des relations contractuelles.
Les diverses réparations des faits de contrefaçon
Faute de parvenir à apporter d’autres éléments d’appréciation de la réalité des faits de contrefaçon subis, l’autrice se voit allouer en appel les mêmes montants que ceux qui avaient été fixés par le Tribunal judiciaire. Ainsi, la Cour alloue un montant de 6.000 euros pour le premier ouvrage et de 5.000 euros pour le second ouvrage, conformément à la mise en œuvre des dispositions de l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle. Ici aucun départage entre la réparation de l’atteinte aux droits patrimoniaux et celle de l’atteinte au droit moral n’est réalisé, les sommes englobant a priori ces deux chefs de préjudice. Le cumul de ces sommes paraît toutefois très en faveur de l’auteur au regard du nombre des exemplaires vendus pendant la période contractuellement prévue.
Au-delà de cette seule réparation pécuniaire, la Cour confirme – à défaut de débat en appel sur ce point – les mesures accessoires qui avaient été retenues en première instance. Et celles-ci s’avéraient particulièrement contraignantes pour l’éditeur. En effet, la société éditrice se voit interdire de faire référence à l’autrice, sous son patronyme complet ou sous son nom d’emprunt, ainsi qu’aux deux ouvrages qui avaient été auparavant édités par ses soins. Et ce, tant sur son site Internet que sur tout autre support que ce soit, quelle qu’en soit la nature, c’est-à-dire que l’éditeur ait ou non un pouvoir de contrôle sur le support concerné. Par ailleurs, l’interdiction faite à l’éditeur de continuer à exploiter les ouvrages est logiquement conservée. Enfin, un inventaire des ouvrages invendus encore en stock doit être dressé par l’éditeur afin de restituer à l’auteur l’intégralité des livres invendus, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l’expiration d’un délai de trente jours suivant la signification de la décision de la Cour d’appel. Si l’autrice peut désormais vendre les livres récupérés, tout nouvel éditeur auquel elle aurait fait apport de ses droits d’auteur pour une édition des deux ouvrages ne verrait assurément pas d’un œil clément une éventuelle concurrence engendrée par son cocontractant.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.
[1] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 11 mai 2021, RG no 19/00977.