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De l’utilisation contrefaisante d’un « fermoir tournant »

A la fin des années 1980, une autrice indépendante avait conçu, pour un célèbre malletier, un système de fermeture reposant sur un pivotement de lettres. Ce fermoir, dit « LV tournant », reprenait le logotype de la société de luxe et est au cœur d’un long contentieux sur lequel la Cour d’appel de Paris vient de se prononcer récemment[1].

Aux origines du fermoir “LV tournant” et de la présente affaire
En vue d’organiser leur collaboration, les parties avaient conclu deux contrats de concession de savoir-faire au cours des années 1987 et 1988. Le premier concernait la création d’une ligne de sacs à main, tandis que le second portait sur la création d’une collection de bouclerie, ainsi que d’une ligne de sacs de voyage et de loisir. Le premier contrat prévoyait une rémunération fixe ainsi que des redevances sur le prix de vente de chaque sac vendu en France ou à l’étranger pendant toute la durée de commercialisation desdits modèles. Le second prévoyait une rémunération forfaitaire pour l’exécution de la mission et la cession des droits d’auteur concernés.

En 1992, la société de luxe souhaitant racheter à l’autrice l’ensemble des droits attachés aux modèles de sacs de ville et à la création du fermoir « LV tournant » dans l’hypothèse d’une réutilisation, a conclu avec l’autrice un nouveau contrat. L’article 2 de ce contrat prévoyait le rachat par le malletier des droits d’auteur attachés à la création du système de fermeture en contrepartie d’une rémunération globale et forfaitaire pour tous droits actuels et futurs en cas de réutilisation du fermoir tournant sur de nouveaux modèles de sacs de ville ou de sacs de voyage et de loisirs.

Or, et sans avoir été préalablement avertie, l’autrice a découvert en 2014, que son cocontractant avait apposé le fermoir sur une nouvelle gamme de sacs et sur d’autres produits de petite maroquinerie et de bijouterie à l’instar de portefeuilles, bracelets, chaussures, ceintures, porte-clefs. C’est dans ce contexte que l’autrice a assigné la société pour actes de contrefaçon et violation de ses droits patrimoniaux et de son droit moral. Cette action judiciaire reposait sur l’apposition du fermoir tournant sur d’autres articles que ceux visés dans la convention et sans mention du nom de l’autrice.

Par jugement du 12 juin 2020, le tribunal judiciaire avait rejeté l’action en contrefaçon et débouté l’autrice de ses prétentions au titre de l’atteinte à son droit moral.

La réparation de l’utilisation du fermoir tournant sans autorisation de l’artiste
Devant la cour d’appel de Paris, le litige portait donc à la fois sur l’apposition du fermoir sur une nouvelle gamme de sacs et sur la réutilisation dudit fermoir sur de nouvelles catégories d’articles.

Concernant la réutilisation du fermoir sur une nouvelle gamme de sacs, l’autrice invoquait notamment l’imprévisibilité du produit de l’œuvre sur le fondement de l’article L. 131-5 du Code de la propriété intellectuelle. Or, et dans la mesure où cette utilisation du fermoir était prévue contractuellement, le malletier est condamné à verser à l’autrice la somme de 133.088 euros, correspondant au seul montant prévu par ledit contrat. La Cour se fonde ainsi sur le contrat qui prévoyait le versement d’un supplément de rémunération à l’autrice pour toute nouvelle utilisation du fermoir sur chaque nouvelle ligne de sacs à main commercialisée par le malletier. En l’absence de délai mentionné dans le contrat, la circonstance que la réutilisation du fermoir se soit produite plus de vingt ans après sa conclusion, n’est pas, pour la Cour, de nature à caractériser l’imprévisibilité des produits de l’œuvre. En conséquence, le malletier est condamné à verser la rémunération prévue par le contrat.

En revanche toute forme d’utilisation autre que sur des sacs, telles que celles visées en l’espèce, n’était pas prévue par le contrat et n’avait ainsi pas été réalisée avec l’accord de l’autrice. Dès lors, la cour considère que cette utilisation revêtait « un préjudice moral certain ». La réparation dudit préjudice subi et caractérisé par l’utilisation du fermoir sur de nombreux produits a été fixée à la somme de 700.000 euros en application de l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle, et en l’absence d’une demande d’indemnisation forfaitaire par l’autrice. Ce montant vise à réparer intégralement le préjudice moral subi par l’autrice. La cour écarte la considération du manque à gagner ou les pertes subis par l’autrice, faute du droit pour cette dernière d’exploiter ce fermoir pour son propre usage. La Cour écarte également les bénéfices réalisés par le malletier tirés de l’exploitation des nouveaux produits qui ne sont pas nécessaires pour apprécier le préjudice. En revanche, elle se réfère expressément aux sommes forfaitaires prévues par le contrat pour toute nouvelle utilisation du fermoir. Ces montants semblent avoir déterminé la somme que doit verser le malletier à l’autrice au titre de la réparation du préjudice subi par l’utilisation sur « de nombreux produits autres que des sacs ».

La réutilisation du fermoir tournant sans autorisation, non constitutive d’une atteinte au droit moral de l’autrice
En outre, la cour d’appel confirme le jugement du tribunal judiciaire en ce qu’il avait débouté l’autrice de l’atteinte à son droit moral fondé sur l’atteinte à son droit de paternité et droit à l’intégrité de l’œuvre première.

En effet, la cour relève que cette dernière n’est pas la créatrice des chaussures, bijoux, portefeuilles et porte-clefs vendus, contrairement à la première ligne de bouclerie et de sacs de 1987 et 1988. Selon l’analyse développée par la cour, l’autrice est seulement créatrice d’un accessoire, reprenant le logotype de la société et les initiales du fondateur. La cour s’appuie sur les usages professionnels pour établir que l’absence de mention du nom de la créatrice ne constitue pas une atteinte à son droit de paternité dans de telles circonstances.

En ce sens, elle se fonde sur les usages de la profession plutôt que de rechercher l’existence potentielle d’une clause visant à écarter la paternité de l’autrice dans le contrat. En effet, il est courant dans le secteur de la mode que le nom du créateur ne soit pas mentionné lorsqu’un produit contient des éléments crées par un artiste – à moins que ce dernier ne bénéficie d’une renommée susceptible d’augmenter le nombre de ventes à l’instar des sacs réalisés en collaboration avec Jeff Koons -. Par ailleurs, le caractère accessoire du fermoir, alors même qu’il constitue un signe distinctif permettant d’identifier le produit comme commercialisé par la marque prestigieuse, semble être un élément justifiant l’absence d’atteinte au droit de paternité de l’autrice.

Enfin, selon la cour, l’autrice n’apporte pas la preuve que son fermoir aurait été dénaturé et dégradé en étant utilisé sur des articles autres que des sacs, alors même qu’il avait été conçu spécifiquement pour cet usage. Pour la cour, l’atteinte au droit à l’intégrité de l’œuvre n’est pas caractérisée. La solution retenue aurait-elle été différente si une utilisation autre qu’en tant que fermoir avait été opérée par le malletier ?

Un article écrit par Alix Vigeant.
Stagiaire au sein du Cabinet entre janvier et juin 2022.

Dans le cadre de son activité dédié au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste ses clients dans toutes les problématiques de droit d’auteur et, notamment, en matière de contrefaçon.

[1] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 11 mars 2022, RG n° 20/08972.