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L’originalité d’une maison à trois pignons

Dans un arrêt du 23 novembre 2021, la Cour d’appel de Rennes confirme le jugement de première instance ayant refusé le bénéfice du droit d’auteur à un constructeur de maisons individuelles qu’il revendiquait sur les plans d’une maison d’habitation, invoquant à son soutien une « ligne architecturale spécifique » due à la présence de trois pignons. En effet, les plans dont la protection au titre du droit d’auteur était revendiquée avaient été réalisés à partir de directives du commanditaire et les trois pignons relevaient du caractère banal d’un style architectural entre dans le fonds commun de la création.

Le cumul de l’action en contrefaçon fondée sur les dessins et modèles et sur le droit d’auteur
En 2014, un couple se rapprochait de plusieurs entreprises de construction afin d’élaborer leur future maison d’habitation à Bayeux, en Normandie. Une première société réalisait plusieurs projets de plans entre juillet et octobre 2014 et déposait, le 3 novembre 2014, son projet final sous enveloppe Soleau auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Concomitamment, les époux sollicitaient une seconde société qui leur présentait un projet le 24 octobre 2014. Le projet de cette dernière remportait les suffrages des deux époux et un contrat de construction était conclu entre les parties. Conformément à la réglementation en la matière, un architecte était sollicité afin d’obtenir un permis de construire, le plancher de construction étant supérieur à 170 m2. Une première demande de permis de construire était déposée à la fin de l’année 2014.

Furieuse, la société délaissée assigna les époux, la société élue et l’architecte ayant prêté son concours en contrefaçon des plans retenus sur le double fondement de la protection des dessins et modèles et du droit d’auteur. Mais si les deux protections sollicitées sont effectivement cumulables, la reconnaissance de l’une ne saurait par principe ouvrir droit à l’autre, leurs régimes différant tant dans les conditions d’octroi de la protection que dans son étendue.

Prévue au titre V du Code de la propriété intellectuelle, la protection au titre des dessins et modèles vise à protéger l’apparence d’un produit [1] sous réserve de deux conditions : la nouveauté et le caractère propre, c’est-à-dire l’impression visuelle suscitée chez l’observateur, différente des autres produits déjà divulgués. Contenu à la protection de l’ornementation, ce régime exclut d’office la protection des fonctions utilitaires du produit en cause. Le droit d’auteur protège quant à lui toute « œuvre de l’esprit », dès lors que celle-ci est originale, portant l’empreinte de la personnalité de son auteur, et constituant un « objet identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité »[2].

Un formalisme strict imposé en matière de dessins et modèles vs l’absence de formalisme en droit d’auteur
La principale différence entre les deux protections repose sur le formalisme imposé aux fins de bénéficier de celles-ci. En effet, aucune formalité n’est requise en matière de droit d’auteur, l’auteur jouissant de la protection du seul fait de la création[3], tandis que le dessin et modèle doit faire l’objet d’un dépôt auprès de l’Institut national de la propriété industrielle puis d’un enregistrement qui, lorsqu’il est accordé par l’organisme, confère un droit exclusif sur l’utilisation de celui-ci pour une période de cinq années renouvelables.

Une surprenante confusion a pourtant été opérée par la société alléguant des actes de contrefaçon au titre du dessin et modèle, fondement abandonné en cours de procédure. En effet, l’enveloppe Soleau déposée par la société ne constitue en aucune façon un dépôt de dessin et modèle. Cette enveloppe déposée à l’Inpi, est uniquement un moyen de preuve que le créateur se préconstitue afin de dater avec certitude son projet, au même titre que le dépôt d’un exemplaire chez notaire qu’une inscription du plan au sein d’une blockchain ou même qu’un envoi d’une enveloppe scellée à soi-même. Mais le seul dépôt Soleau ne préjuge nullement d’une quelconque protection par un droit de propriété intellectuelle ou industrielle. La Cour d’appel a ainsi eu l’occasion de rappeler qu’à défaut d’un titre enregistré, aucun droit de propriété industrielle ne saurait être revendiqué.

L’absence de protection au titre du droit d’auteur en l’absence de liberté créatrice de l’auteur
Si la création d’une œuvre de l’esprit investit son auteur de droits sans aucune formalité, l’éligibilité à la protection peut toutefois être contestée lorsqu’il souhaite les faire valoir en justice. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit à l’article L. 112-2 12° que « Les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture et aux sciences » peuvent être considérés comme une création. Mais encore faut-il que le créateur démontre qu’ils « reflètent la personnalité de son auteur, en manifestant les choix libres et créatifs de ce dernier »[4]. En l’espèce, les magistrats rappellent toutefois qu’un « plan de conception banale qui ne relèverait pas d’un effort créatif, ne saurait bénéficier de cette protection ». Au soutien de sa demande, la société affirmait que les trois pignons de la maison dessinée constituaient l’élément original de sa ligne architecturale et qu’ils étaient le reflet d’un parti pris esthétique empreint de la personnalité de son auteur. Les intimés soutenaient, quant à eux, que la présence de trois pignons était un élément commun dans l’architecture, une « Maison des Trois pignons » construite au XVe siècle ayant notamment été inscrite monument historique à Provins. Mais surtout, que ce projet n’était qu’un « copié-collé » de celui envoyé par l’époux qui s’était inspiré d’un avant-projet de la société finalement retenue.

Dans un premier temps, les magistrats relèvent que les maîtres d’ouvrage avaient « une idée assez précise de la maison » et qu’ils avaient envoyé par courrier électronique de nombreuses directives ainsi qu’un plan basé sur l’avant-projet proposé. Les volumes des plans de la société évincée étaient similaires à celui-ci, nonobstant des mesures plus précises. La Cour constate donc que « les plans vantés par la société [appelante] se sont largement inspirés du plan des époux qui s’étaient eux même inspirés d’un précédent plan établi par la société [intimée] pour les besoins d’un autre client ». Toutefois, elle ne tire aucune conséquence de ce raisonnement. Or, il est de jurisprudence constante que le créateur qui ne peut exprimer sa liberté créatrice, en raison de contraintes extérieures comme des directives des commanditaires ou des contraintes techniques ou légales, ne peut bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. La Cour de justice de l’Union européenne a pu récemment le rappeler en affirmant que « lorsque la réalisation d’un objet a été déterminée par des considérations techniques, par des règles ou par d’autres contraintes, qui n’ont pas laissé de place à l’exercice d’une liberté créative, cet objet ne saurait être regardé comme présentant l’originalité nécessaire pour pouvoir constituer une œuvre »[6].

La maison à trois pignons, une création appartenant au fonds commun de la création
Dans un second temps, la Cour s’attache en effet à démontrer que les caractéristiques architecturales de la maison relèvent du fonds commun de la création. Cette notion est souvent mobilisée pour faire échec à l’originalité en rapportant la preuve que les éléments de la création ne sont que des éléments banals se retrouvant dans de nombreuses créations architecturales antérieures. La Cour relève ainsi qu’il existe en France « une ligne architecturale composée de trois pignons au moins depuis le XVème siècle » et que la société ne pouvait « s’approprier l’exclusivité d’un style architectural ». Emportés dans ce raisonnement, les magistrats affirment curieusement que de nombreux autres architectes proposent des plans similaires, « cette banalisation contribuant à priver de tels plans de l’originalité qui leur conférerait le statut d’œuvres de l’esprit ». Une telle affirmation se rapprochant de l’idée de dégénérescence en droit des marques[7]. Ainsi, la société appelante échouant à rapporter la preuve de l’originalité du plan de sa maison à trois pignons, elle est déboutée de ses demandes en contrefaçon.

L’absence de débat quant à a la titularité de la société demanderesse 
Un autre moyen de défense était également opposé à la société appelante, mais oublié par la Cour d’appel, celle de la qualité à agir. En effet, en principe, seule une personne physique peut être qualifiée d’auteur d’une œuvre de l’esprit. Depuis la jurisprudence dite Aréo, le demandeur à une action en justice bénéficie d’une présomption de titularité lorsqu’il justifie exploiter l’œuvre en cause en l’absence de revendication de la personne physique[9]. Mais cette présomption peut être combattue, comme l’a rappelé récemment la Cour d’appel de Paris dans un litige opposant l’agence d’architecture ayant réalisé le nouveau bâtiment des Halles à leur commanditaire, la Ratp[10].

Article écrit par Me Simon Rolin, Avocat Collaborateur

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste les architectes et les agences dans la défense de leurs droits, notamment à l’occasion d’actions en contrefaçon, ou dans l’accompagnement au stade de la négociation et de la rédaction de leurs contrats.

[1] Code de la propriété intellectuelle, article L. 511-1 : « Peut être protégée à titre de dessin ou modèle l'apparence d'un produit, ou d'une partie de produit, caractérisée en particulier par ses lignes, ses contours, ses couleurs, sa forme, sa texture ou ses matériaux. Ces caractéristiques peuvent être celles du produit lui-même ou de son ornementation. »

[2] CJUE, 3e ch., 12 déc. 2019, C-683/17, Cofemel, §32.

[3] Code de la propriété intellectuelle, article L. 111-1.

[4] CJUE, 3e ch., 12 déc. 2019, C-683/17, Cofemel, §30.

[6] CJUE, 3e ch., 12 déc. 2019, C-683/17, Cofemel, §31.

[7] L’article L. 711-2 du Code de la propriété intellectuelle impose que la marque doit avoir un caractère distinctif, dès lors le titulaire de la marque doit veiller à ce que le terme choisi ne tombe pas dans le langue commun, entraînant alors le risque qu’il soit déchu de sa marque.

[9] Cass. civ. 1re, 24 mars 1993, Sté Aréo, no 91-16.543.