Droit de divulgation et vente aux enchères publiques
La mise en vente d’œuvres inédites, inachevées ou encore personnelles peut être perturbée par l’opposition de son auteur ou de ses héritiers et ce, même si la propriété des œuvres n’est nullement remise en cause.
Les catalogues de vente aux enchères publiques, objets d’information et de publicité, doivent composer avec l’existence des prérogatives dont sont investis les auteurs ou leurs ayants-droit sur les œuvres reproduites et décrites en vue de leur mise en vente. Les droits patrimoniaux peuvent ainsi perturber la reproduction d’une œuvre dans un catalogue de vente aux enchères publiques volontaires, tandis que le droit de divulgation, rattaché au droit moral, peut paralyser la mise en vente de l’objet. Cette paralyse potentielle trouve son origine dans le principe fondamental d’indépendance entre la propriété corporelle (celle d’un manuscrit, d’une peinture ou encore d’une sculpture) et la propriété incorporelle (celle des droits d’auteur attachés à une telle création), propriétés réunies originairement entre les mains du seul créateur, puis dédoublées lors de la vente ou du don du support de la création.
La mise en vente d’une ébauche de décor non-divulguée
C’est ce principe qu’a pu rappeler la Cour de cassation, le 29 novembre 2005, à l’occasion de la mise en vente aux enchères publiques d’une ébauche d’un décor du ballet Giselle réalisé par Loïc Le Groumellec dans le cadre d’une commande de l’Opéra de Paris. Si l’artiste s’était bien dépossédé de l’ébauche en la remettant au directeur de la danse, il n’avait pour autant pas consenti à la divulgation publique de son œuvre et constata donc avec stupéfaction que celle-ci était reproduite sur la couverture du catalogue de la vente organisée par un commissaire-priseur. L’artiste s’opposa alors à la mise en vente, fondant sa revendication sur la violation de son droit moral, plus précisément ici de son droit de divulgation.
La dépossession du support matériel d’une œuvre valait-elle divulgation ? Assurément non. L’action de se déposséder, volontairement ou non, d’une œuvre ne permet pas de caractériser nécessairement la volonté de l’auteur de la livrer au public. Il en est, par exemple, ainsi d’un peintre qui confierait une toile inachevée à son galeriste pour que celui-ci en assure momentanément le stockage. Il en serait, en revanche, autrement si l’artiste avait exprimé son souhait de voir l’œuvre photographiée, puis présentée à la vente. Le seul fait de confier l’œuvre à un tiers laisse celle-ci dans la sphère privée. Et ce, d’autant plus qu’il s’agissait ici d’une œuvre intermédiaire, d’une ébauche, qui se distinguait de l’œuvre finale soit du décor du ballet présenté au public de l’Opéra de Paris. À cet égard, la Cour de cassation prend le soin de préciser que l’œuvre n’étant ni signée, ni datée, elle présentait en elle-même des éléments incontestables d’inachèvement, marquant corrélativement l’absence de volonté de l’auteur de la divulguer.
Quant au commissaire-priseur, celui-ci n’ayant pas retiré l’œuvre de la vente, mais l’ayant au contraire adjugée malgré les protestations de l’artiste, sa responsabilité devait être logiquement engagée en raison de l’atteinte portée au droit de divulgation. La reconnaissance judiciaire de la propriété de l’œuvre au bénéfice du vendeur – l’artiste l’ayant donnée au directeur de la danse, selon la cour d’appel – ne pouvait en elle-même dédouaner de toute responsabilité le commissaire-priseur, au nom, une nouvelle fois, de l’indépendance des propriétés qui peuvent se conjuguer sur une œuvre de l’esprit.
La mise en vente d’une correspondance inédite
C’est au nom de ce même principe que la Cour d’appel de Paris a retenu, le 8 septembre 2015, la responsabilité d’un commissaire-priseur ayant proposé au feu des enchères, en 2012, 89 lettres d’Albert Camus à Blanche Balain, comédienne et un temps maîtresse de l’auteur de « L’Étranger », écrites entre 1937 et 1959. Le catalogue, à la fois disponible sous forme imprimée et sous forme numérique sur différents sites Internet, reproduisait une partie de la correspondance, demeurée jusqu’alors inédite. Bien que l’opérateur ait supprimé la correspondance de ses catalogues, la reproduction d’une partie des lettres demeurait présente sur les sites Internet de l’opérateur, de la Gazette Drouot et des services de Drouot, conduisant alors la fille de l’auteur à assigner l’opérateur et la société Auctionpress, filiale du groupe Drouot chargée de l’édition de la Gazette et des sites de la Gazette et de Drouot, en réparation du préjudice subi du fait de la divulgation non-autorisée des lettres d’Albert Camus.
Déboutée en première instance, Catherine Camus a obtenu, le 8 septembre 2015, la condamnation des deux sociétés pour atteinte au droit de divulgation, dont elle est seule investie, à hauteur de 10.000 euros. Cette condamnation imposait de déterminer préalablement la qualité d’œuvre de l’esprit des correspondances avant d’envisager l’éventuelle atteinte au droit de divulgation. Sur le premier aspect, le commissaire-priseur soutenait le caractère banal de la correspondance, alors même qu’il l’avait décrite au sein de son catalogue comme une « précieuse et exceptionnelle correspondance de 89 lettres inédites d’Albert Camus » dont la mise à prix globale était fixée à 266 800 €. La cour d’appel a retenu, quant à elle, « qu’il ressort de la lecture de ces 89 lettres (…), que, loin de se limiter à y communiquer des informations, Albert Camus s’y confie dans toutes les dimensions de son être » et « que les choix opérés par lui, tant dans la forme soignée de son expression que dans la singularité des sujets abordés, confèrent à cette correspondance une physionomie propre traduisant une activité créatrice, dont l’auteur ne pouvait qu’avoir conscience, et qui porte l’empreinte de sa personnalité ». Les lettres étaient revêtues du sceau de l’originalité et protégées par les dispositions du droit d’auteur.
Or, le droit de divulgation, prévu à l’article L121-2 du Code de la propriété intellectuelle, appartient après la mort de l’auteur, et à défaut d’exécuteur testamentaire désigné, en premier lieu à ses descendants, soit à Catherine Camus. Une telle prérogative emporte le droit de déterminer le procédé de divulgation de l’œuvre et de fixer les conditions de celle-ci. Droit qui n’a pu être mis en œuvre par l’héritière, les deux sociétés n’ayant pas sollicité son autorisation avant la communication au public, en intégralité ou partiellement, des lettres litigieuses. Les publications préalables d’extraits de ces lettres à d’autres occasions n’avaient pu, selon la cour, épuiser le droit de divulgation de l’héritière, puisqu’elles ne donnaient qu’un avant-goût de la correspondance, « sans la dévoiler dans son ensemble ». Rejetant tout préjudice matériel subi du fait de la divulgation non-autorisée, faute de preuve, la cour d’appel consacre néanmoins l’existence d’un préjudice moral « tenant à la privation de son droit d’exercer son droit de divulgation », « aggravé par la circonstance que la violation est le fait de professionnels avertis ». À ce dernier égard, le Recueil des obligations déontologiques, adopté le 21 février 2012, rappelle en son article 1.2.1 que « l’opérateur de ventes volontaires s’assure, pour les besoins de la vente, des autorisations nécessaires à la reproduction et à l’exposition des objets soumis au droit d’auteur ». Le commissaire-priseur se doit donc, au moment de la confection du catalogue, d’être vigilant pour respecter tant le droit des tiers que ses propres obligations.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat Associé.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les héritiers d’artistes plasticiens ou d’écrivains et les professionnels du domaine, dans la résolution de situations litigieuses concernant la divulgation d’inédits, de manière amiable ou judiciairement. Le Cabinet intervient également pour revendiquer la propriété d’oeuvres dont la possession est contestable.