La publication d’inédits particulièrement anciens
Il n’est pas rare qu’à l’occasion d’une découverte fortuite, d’un inventaire ou d’une vente aux enchères publiques, certains manuscrits inédits refassent surface de manière inopinée et dévoiler une version jusqu’alors inconnue d’un texte fameux ou encore offrir au public une œuvre nouvelle. Caché, dissimulé ou oublié, ce manuscrit, de quelques feuillets ou de plus grande ampleur, peut revêtir trois valeurs distinctes : littéraire, patrimoniale et pécuniaire. Cette dernière valeur peut alors elle-même se dédoubler pour le propriétaire de l’inédit qui, au-delà de la propriété matérielle du texte original, peut être investi selon certaines conditions des droits d’exploitation sur l’inédit.
L’œuvre posthume – divulguée après le décès de son auteur – investit potentiellement le propriétaire de son support (manuscrit, carnet, dessins, planche-contact, film photographique ou encore peinture) du droit de reproduction et du droit de représentation si plusieurs conditions sont réunies. Celles-ci sont au nombre de trois: la volonté, le temps et la matérialité, conformément aux dispositions de l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle.
La volonté de l’auteur, rempart éventuel aux droits du propriétaire
Outre le caractère nécessairement inédit de l’œuvre, son auteur ne doit avoir manifesté aucune volonté particulière relative à l’avenir de sa création. Cette volonté peut s’exprimer dans un contrat de publication signé de son vivant, dans un testament ou encore dans tout autre écrit délimitant le sort souhaité pour son œuvre.
La typologie d’œuvre concernée est ici indifférente. Il peut aussi bien s’agir d’un manuscrit ou d’un tapuscrit, d’un tableau, d’une photographie, d’une sculpture le Code de la propriété intellectuelle ne visant qu’une « publication », terme recouvrant tous les procédés potentiels de diffusion d’une œuvre.
Le temps de l’oubli, condition nécessaire pour le propriétaire
Pour que le propriétaire puisse être investi de manière exceptionnelle de droits patrimoniaux sur l’œuvre, et tirer ainsi un profit pécuniaire de sa publication et de son exploitation, il est nécessaire qu’une durée soixante-dix ans se soit écoulée depuis le décès de l’auteur. C’est à cette condition que l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle investit le propriétaire du support matériel de l’œuvre, « par succession ou à d’autres titres, qui en effectue ou fait effectuer la publication » de tels droits. La redécouverte de neuf textes inédits de Marcel Proust, publiés en 2019 aux Éditions de Fallois, a pu investir son découvreur de tels droits. Il n’en serait pas de même pour la redécouverte de textes d’auteur décédés plus récemment.
Ici, la propriété corporelle l’emporte sur les règles habituelles attachées aux créations de l’esprit. Une telle exception au principe fondamental de l’indépendance de la propriété intellectuelle de l’œuvre et de la propriété du support matériel est expressément consacrée par l’article L. 111-3, alinéa 2, qui renvoie à l’article L. 123-4 du Code de la propriété intellectuelle.
Toutefois, l’exercice du droit moral toujours relève des seuls héritiers de l’auteur, selon les conditions de dévolution successorale attachées à cette prérogative. En d’autres termes, le propriétaire du support de l’inédit doit nécessairement obtenir le consentement du titulaire du droit de divulgation pour procéder à la diffusion de l’œuvre posthume. À défaut, il pourrait être considéré comme contrefacteur, à moins de prouver que le refus qui lui est opposé par l’ayant-droit est abusif.
Enfin, à situation exceptionnelle, régime d’exception. À la différence de la durée de droit commun de protection du droit d’auteur, la résurgence d’un monopole d’exploitation est limitée à une durée minorée de vingt-cinq ans.
La condition matérielle : un original dont la propriété n’est pas contestée
Le support de l’œuvre inédite doit correspondre, en principe, à l’original et non pas une copie. Cette problématique, bien souvent écartée en matière d’art plastique, peut ressurgir dans les domaines littéraires et musicaux. Il n’est pas rare que plusieurs versions d’un même texte ou d’une même partition existent, entraînant ainsi une opposition entre propriétaires concurrents. Une célèbre affaire judiciaire, à propos d’inédits de Jules Verne, a pu opposer la bibliothèque de la ville de Nantes au propriétaire de copies des même inédits à l’occasion de la publication de publications concurrentes. La Cour de cassation avait tranché, le 9 novembre 1993, la question en retenant que « les propriétaires du support matériel des œuvres posthumes sont investis des droit patrimoniaux (...) et il leur appartient d’en effectuer la publication à l’exclusion des détenteurs de simples copies établies et remise sans intention de transmettre le droit d’exploitation virtuellement attaché à la propriété des supports matériels originaux ». Désormais, la concurrence est autrement envisagée. Il semblerait, en effet, que le nouveau monopole soit attribué à la première personne qui effectue la publication, conformément à la modification de la directive européenne adoptée en 1993.
Encore faut-il que la propriété du support soit sans équivoque et parfaite. C’est ainsi que le Tribunal de grande instance de Paris a pu, le 19 décembre 1984, faire droit à la demande de restitution de divers manuscrits et lettres inédits de Marcel Pagnol par la veuve de l'écrivain. Dispersés au feu des enchères à l’occasion de la succession vacante du secrétaire de l’auteur de la fameuse trilogie marseillaise, les inédits furent revendiqués par la veuve de l’écrivain qui s’opposait également à leur divulgation. Ayant pu prouver que Marcel Pagnol n’avait pas entendu donner ces documents à son secrétaire, mais les lui avait remis uniquement en vue de les dactylographier, et ayant pu rappeler que le testament manifestait la volonté de l’auteur de confier tous ses droits sur son œuvre à sa femme, celle-ci fut réinvestie de la propriété de l’ensemble des inédits.
L’exception légale concernant la publication d’inédits, au-delà des problématiques attachées à la potentielle atteinte à la vie privée et au droit de divulgation, entraîne donc de nombreuses difficultés éventuelles entre héritiers, marchands, commissaires-priseurs, institutions et passionnés. C’est pourquoi notre Cabinet peut intervenir à votre profit afin de sécuriser au mieux certaines transactions ou faire valoir vos droits.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat Associé.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement les héritiers d’artistes plasticiens ou d’écrivains et les professionnels du domaine, dans la résolution de situations litigieuses concernant la divulgation d’inédits, de manière amiable ou judiciairement. Le Cabinet intervient également pour revendiquer la propriété d’oeuvres dont la possession est contestable. Notre Cabinet intervient enfin pour le compte d’éditeurs indépendants qui souhaiteraient s’assurer de la possibilité de pouvoir rééditer un texte ou éditer un texte inédit d’un auteur.