« Grâce à Dieu » ou la reconnaissance de la primauté de la liberté d’expression
Par une ordonnance de référé rendue le 18 février 2019, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté, au nom de la liberté d’expression, les prétentions du Père Bernard Preynat à l’encontre des sociétés coproductrices du film « Grâce à Dieu », réalisé par François Ozon. Le prêtre sollicitait un report de la diffusion du film, en raison d’une atteinte à sa présomption d’innocence.
L’affaire, hautement médiatique, avait fait grand bruit en écho à une instance actuellement en cours de délibéré, après le renvoi au mois de janvier 2019 du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, et de certains de ses collaborateurs devant le tribunal correctionnel, pour non dénonciation d’agressions sexuelles sur mineurs.
En effet, le film « Grâce à Dieu » aborde la question de la libération de la parole des victimes de pédophilie dans le cadre de faits reprochés à Bernard Preynat, prêtre actuellement mis en examen, en utilisant les nom et prénom de ce dernier. C’est pourquoi, le prêtre sollicitait non seulement le retrait du film des circuits de distribution mais aussi celui de ses nom et prénom au sein même du film, arguant d’une atteinte portée à la présomption d’innocence et au caractère équitable du procès, droits fondamentaux dont il bénéficie nécessairement en tant que prévenu.
Toutefois, ces droits doivent se concilier avec le droit à la liberté d’expression. Il s’agit ici, une nouvelle fois, d’une confrontation entre deux droits fondamentaux imposant à la juridiction saisie de justifier la primauté de l’un sur l’autre dans la résolution du litige. À cet égard, le Tribunal saisi en référé rappelle que « la liberté d’expression ne peut être soumise qu’à des ingérences que dans les cas où celle-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme et ne portent pas une atteinte disproportionnée à l’exercice de cette liberté ».
Au terme d’une démonstration relevant la parfaite information du public quant au caractère fictif du film et le rappel du principe de la présomption d’innocence dont bénéficie Bernard Preynat, le Tribunal a estimé que « la sortie du film à la date prévue n’est pas de nature à constituer une atteinte grave au caractère équitable du procès et à la nécessité d’assurer des débats devant le juge pénal ». En d’autres termes, la liberté d’expression – ou plutôt de diffusion – devait l’emporter ici sur la présomption d’innocence.
Mais si la primauté de la liberté d’expression a été retenue en l’espèce, le Tribunal a tout de même souligné qu’il en aurait été autrement « si la sortie du film devait coïncider avec les débats judiciaires ». En effet, si la mesure de retarder la sortie du film portait « une atteinte grave et très disproportionnée au principe de la liberté d’expression, un tel décalage aboutissant, de fait, à une impossibilité d’exploiter le film, œuvre de l’esprit ; que cela créerait aussi des conditions économiques d’exploitation non supportables », la proximité du procès ou la révélation de nouveaux éléments non encore connus du public auraient pu être de nature à faire prévaloir la présomption d’innocence sur la liberté d’expression.
Suivant le même raisonnement, le Tribunal de grande instance de Lyon a également rejeté, mardi 19 février, la demande de Madame Régine Maire, ancienne bénévole du diocèse, de voir supprimer son patronyme dans le film, considérant que ni l’atteinte à sa vie privée ni celle à sa présomption d’innocence ne sont constituées, tout en retenant que le report du film aurait eu des « conséquences désastreuses » sur le plan financier.
Par Maxime Seiller
Stagiaire du Cabinet entre janvier et juin 2019.
Décision citée :
TGI Paris, ord. réf., 18 févr. 2019, RG no 19/51499.