Les questions posées par l’annulation de l’exposition Sottsass
Fin janvier dernier, le Stedelijk Museum d’Amsterdam annonçait publiquement l’annulation de la première rétrospective consacrée aux Pays-Bas au célèbre designer italien Ettore Sottsass (1917-2007). Fait particulièrement rare, à quelques mois de l’ouverture programmée, cette annonce soulève des questions fondamentales sur la présentation par une institution de l’œuvre d’un artiste décédé.
Des différentes prises de position dans la presse des deux protagonistes principaux – la curatrice du musée, Ingeborg de Roode, et Barbara Radice, la veuve de l’artiste – il ressort qu’un différend fondamental est né sur les conditions de monstration de l’œuvre, aboutissant à une fin de non-recevoir pour chaque partie.
Depuis la conception d’une exposition dédiée à Sottsass dans le cadre de la dernière Triennale de Milan par Barbara Radice, celle-ci exige que la présentation des œuvres du designer réponde à une logique chronologique. Et c’est une telle logique qu’aurait dû reprendre le musée d’Amsterdam pour la future exposition. Au contraire, l’institution souhaitait proposer une présentation thématique, mêlant des œuvres de différentes périodes et medium, ainsi qu’une présentation d’œuvres d’autres membres du Groupe de Memphis afin d’illustrer l’influence de Sottsass sur les générations postérieures. Contextualiser plutôt que témoigner, inscrire dans une histoire les œuvres et non les présenter comme créations autonomes et indépendantes ; les deux visions d’une exposition du travail de Sottsass étaient diamétralement opposées.
Face à un impossible compromis, l’institution a publiquement indiqué qu’en tant que musée, il ne pouvait ni ne voulait permettre, en aucune manière, que la façon dont les expositions sont conçues puisse être influencée par quiconque. Exit donc, les volontés exprimées par l’ayant-droit de l’artiste et la galerie qui représente son Estate. Ces derniers ont alors, par mesure de rétorsion, annulé les prêts d’œuvres envisagés et interdit l’utilisation des textes de l’artiste, rendant alors bien délicate l’édition d’un catalogue.
Bien que les collections du Stedelijk soient riches de 80 œuvres de Sottsass et que le prêt d’autres œuvres était acté par une trentaine de partenaires, institutions publiques ou privées et collectionneurs, le musée a préféré annuler l’exposition. Deux raisons ont été avancées : la difficulté de proposer une rétrospective sans la coopération des ayants-droit et de la galerie représentant l’Estate, ainsi que la volonté d’éviter de mettre les prêteurs dans une position délicate.
Le rôle et la place du musée dans le monde de l’art contemporain s’avèrent, ici, bousculés. À une volonté légitime de proposer un travail scientifique, conçu en toute indépendance, s’oppose visiblement un souhait de promotion d’une œuvre selon des critères arrêtés afin de ne mettre en lumière que les pièces de l’artiste et de bénéficier du processus de légitimation offert par l’institution muséale. Le choix du Stedelijk est, en ce sens, totalement opposé à celui du Centre Pompidou, lors de la présentation de l’exposition dédiée à Jeff Koons, dont les conditions de monstration étaient essentiellement imposées par le studio de l’artiste. De même, deux logiques d’auteurs s’opposent : celle du commissaire de l’exposition et celle de l’artiste, dont les droits sont défendus par ses héritiers. Sans doute aurait-il fallu associer davantage, et dès les premières discussions, les représentants de l’œuvre de Sottsass afin d’éviter cette issue. C’est là, l’atout principal d’un contrat d’exposition exposant les marges de liberté de chacun, ainsi que les engagements et concessions réciproques.
Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des auteurs ou ayants-droit et des commissaires d'exposition afin de préserver au mieux leurs droits à l'occasion de l'organisation de toute manifestation scientifique et culturelle portant sur la monstration d'oeuvres.