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SCH prisonnier de ses contrats (1/2)

Article publié le 26 septembre 2024

En conflit avec son label Braabus depuis 2017, le rappeur a initié plusieurs procédures judiciaires contre son label afin de poursuivre sa carrière sans lui. De son côté, le label lui reproche d’avoir réalisé les albums Deo Favente, Julius et Rooftop en fraude notamment d’ pacte de préférence. Confirmant le jugement de première instance, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence juge valide les différents contrats dont l’exécution est demandée par son ancien label.

L’industrie musicale fait intervenir de très nombreux protagonistes et tout autant de relations contractuelles distinctes, qui peuvent donner lieu à une paralysie dans l’exploitation des albums, des incompréhensions de la part des créateurs ou encore des conflits ouverts. Parmi ces acteurs, l’éditeur musical a vu son rôle profondément évoluer, ce dernier développant dorénavant l’exploitation des interprétations, par le biais des contrats d’enregistrement exclusif, et partageant avec la Sacem, organisme de gestion collective, les obligations pécuniaires attachées au contrat de cession et d’édition musicale. À ces multiples contrats s’ajoute parfois, si ce n’est de plus en plus, un contrat de préférence. Ce dernier permet à l’éditeur de s’assurer de la collaboration future de l’artiste concerné avec le label, quitte à resserrer sur l’artiste les liens contractuels les unissant.

Les différents contrats liant le rappeur à son ancien label
En 2015, le rappeur SCH avait ainsi conclu un contrat d’enregistrement exclusif au profit du label Braabus comportant le droit exclusif de fixer ses interprétations, de les reproduire et de les mettre à disposition du public pour le monde entier, pendant une durée minimum de sept ans et pour la réalisation de six albums inédits. Différents contrats de cession de droits et d’édition ont ensuite été conclus en 2016 entre les deux parties. Enfin, un pacte de préférence éditoriale aux termes duquel le rappeur donnait un droit de préférence sur l’édition et l’exploitation des œuvres musicales écrites par ses soins, seul ou en collaboration, était signé le 22 novembre 2016 pour une durée de cinq années. Une licence exclusive pour les trois premiers albums était ensuite consentie par le label à Universal Music France, ainsi qu’un contrat de co-exploitation signé en présence du rappeur.

À la suite des difficultés rencontrées avec son label, le chanteur a créé sa propre société d’édition et de production musicale en 2017 sous la dénomination « Baron Rouge ». C’est cette société qui a produit les quatrième et cinquième albums Julius et Rooftop. La même année, SCH a assigné devant le Conseil de prudhommes le label Braabus pour obtenir la résiliation du contrat d’enregistrement exclusif. Celle-ci a été prononcée le 18 novembre 2021. Parallèlement, il a assigné son ancien label afin d’obtenir l’annulation du pacte de préférence éditoriale. Saisi de la procédure, le Tribunal judiciaire de Marseille le déboutait de ses demandes et lui enjoignait de signer le contrat de cession et d’édition musicale pour l’album Deo Favente et de transmettre l’ensemble des informations nécessaires à la fixation du préjudice résultant de l’enregistrement des quatrième et cinquième album réalisés en fraude du pacte de préférence et donc au détriment de son ancien partenaire.

Les nullités fondées sur les dispositions du Code civil
L’arrêt d’appel a le mérite de lister les nombreux moyens juridiques soulevés par le chanteur afin de tenter d’obtenir soit la nullité des contrats conclus avec son label, soit leur résiliation pour inexécution fautive. Sur le fondement du droit commun des contrats, le rappeur sollicitait ainsi la nullité des contrats pour défaut de pouvoir du représentant du label, la personne signataire de certains contrats n’étant pas la gérante de la société. La Cour rejette ces demandes relevant en substance que le rappeur avait parfaitement connaissance du défaut de pouvoir du signataire mais qu’il a pourtant choisi d’exécuter les contrats, ratifiant ainsi un tel défaut.
Les arguments soulevés par les avocats du rappeur pour obtenir la nullité du pacte de préférence mobilisaient quant à eux des dispositions du Code civil et du Code de la propriété intellectuelle. Le premier prévoit à l’article 1169 que tout contrat à titre onéreux est nul lorsque la contrepartie est illusoire ou dérisoire au jour de sa formation. Le chanteur soutenait que le pacte violait cet article car aucune contrepartie à l’exclusivité n’était prévue. Les juges relèvent toutefois que la contrepartie sur la cession à venir « résidait dans l’édition des œuvres musicales de SCH et dans leur diffusion la plus large possible et dans la perception des droits afférant ». Il existait donc bien une contrepartie au moment de la formation du contrat d’édition à intervenir en vertu du pacte de préférence.
Ce dernier impose en effet que le contrat par lequel un auteur accorde un droit de préférence doit préciser les « œuvres futures de genres nettement déterminés ». Ce principe vise à éviter tout contournement du principe cardinal rattaché à la prohibition de la cession globale des œuvres futures d’un auteur. En l’espèce, le pacte de préférence listait bien les genres sur lesquels portait le droit de préférence et notamment les « œuvres de variété », les « musiques de films de cinéma ou de télévision », « les musiques de messages publicitaires audiovisuels et/ou radiophoniques » et les « comédies musicales ». Le rappeur était débouté de ses demandes en nullité du pacte de préférence.

Les nullités fondées sur le Code de la propriété intellectuelle
Les autres demandes de nullité des contrats étaient fondées sur les règles spécifiques du Code de la propriété intellectuelle. Le demandeur alléguait une absence de délimitation dans le temps ou dans l’espace des droits d’auteur cédés. Pour autant, et comme le rappelle la Cour d’appel, les dispositions prévues à l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle mentionnant les conditions d’une cession de droits d’auteur ne sont pas édictées à peine de nullité. Mais surtout, la Cour relève que la destination des droits cédés, ainsi que l’étendue géographique de l’exploitation autorisée – « l’univers entier » - et la durée étaient certes très étendues mais malgré tout déterminables. L’argument ne pouvait pas prospérer.
Enfin, un dernier argument était soulevé : les contrats d’édition seraient nuls puisqu’ils comportaient une cession des droits d’adaptation audiovisuelle. Or, l’article L. 131-3 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle impose que leur cession soit constatée sur un document distinct du contrat relatif à l’édition de l’œuvre imprimée. Aux termes d’un raisonnement pour le moins byzantin, les magistrats de la Cour d’appel énoncent que « l’écrit n’est requis qu’en vue d’en établir la preuve, et non la validité, de sorte que la nullité de la cession, à la supposer établie, constatée dans le contrat d’édition, ne rejaillit pas sur celui-ci, ne s’agissant pas d’un élément essentiel. Ainsi la présence d’une clause de cession des droits d’adaptation audiovisuelle dans les contrats d’édition n’entraîne pas la nullité desdits contrats, de sorte que le moyen est inopérant ».

Malgré les nombreux arguments soulevés par le rappeur pour obtenir la nullité de tout ou partie des contrats le liant avec son ancien label, aucun d’entre eux ne prospéra devant la Cour d’appel. Il lui restait donc à invoquer des inexécutions afin d’espérer obtenir la résiliation de ceux-ci.

Un article écrit par Me Simon Rolin
Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet.