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Refus d’une interdiction en référé de la diffusion d'un long-métrage

Article publié le 13 septembre 2024

La mère d’une réalisatrice a souhaité faire interdire en référé la diffusion d’un film, présenté comme un documentaire et dont le sujet principal porte sur sa personne. Selon la demanderesse, le film était susceptible de contenir des images et des vidéos de sa personne qui ont pu être enregistrées par sa fille dans un contexte strictement privé et familial. Afin d’asseoir ses revendications, elle soutenait qu’elle n’avait pas eu accès au montage définitif du film et qu’invitée à visionner le film lors d’une première projection privée le 25 mars 2023, elle avait quitté la salle au bout de quelques minutes, se trouvant en état de choc face à ce qu’elle estime être des atteintes à sa vie privée et familiale et à son droit à l’image. N’ayant pu obtenir amiablement la suspension de la diffusion du film, elle décidait alors d’engager une action judiciaire devant le juge des référés afin de contraindre les défenderesses – sa fille réalisatrice, ainsi que la société de production – à lui transmettre une copie standard du film et afin que soit ordonnée une suspension temporaire de la diffusion du film jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par le juge du fond.

La décision du Tribunal judiciaire de Paris, en date du 12 juillet 2024, s’inscrit ainsi dans un cadre juridique complexe où se rencontrent et s’opposent deux droits fondamentaux : le droit au respect à la vie privée et le droit à la liberté d’expression.

Sur la demande tendant à faire cesser toute diffusion du film « Maman déchire »
La demanderesse sollicitait que soit ordonnée, à titre conservatoire, la suspension temporaire de la diffusion du film « Maman déchire » jusqu’à ce qu’une décision soit rendue par les juges du fond. En d’autres termes, la requérante s’appuyait sur l’article 9 du Code civil et sur l’article 835 du Code de procédure civile, qui permettent de solliciter en référé des mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent ou de faire cesser un trouble manifestement illicite. En l’espèce, la mère alléguait une atteinte à sa vie privée et à son droit à l’image, invoquant la diffusion d’images et de vidéos la représentant, capturées dans un cadre privé et familial, sans son consentement éclairé. En effet, combiné à l’article 835 du Code de procédure civile, l’article 9 du Code civil offre la possibilité aux juges, sans préjudice de la réparation du dommage subi, de prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

Deux droits fondamentaux d’égale valeur
Conformément à l’article 9 du Code civil et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, toute personne, quelle que soit sa notoriété, a droit au respect de sa vie privée et est fondée à en obtenir la protection en fixant elle-même ce qui peut être divulgué par voie de presse. De la même manière, toute personne dispose sur son image, attribut de sa personnalité, et sur l’utilisation qui en est faite d’un droit exclusif, qui lui permet de s’opposer à sa diffusion sans son autorisation.
Ces droits doivent néanmoins se concilier avec le droit à la liberté d’expression, selon le Tribunal judiciaire de Paris. Et ce, conformément à une jurisprudence constante, tant européenne que nationale. La liberté d’expression est, en effet, pleinement consacrée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Dès lors de tels droits peuvent céder devant la liberté d’informer, par le texte et par la représentation iconographique, sur tout ce qui entre dans le champ de l’intérêt légitime du public, certains événements d’actualité ou sujets d’intérêt général pouvant justifier une publication en raison du droit du public à l’information et du principe de la liberté d’expression, ladite publication étant appréciée dans son ensemble et au regard du contexte dans lequel elle s'inscrit.

Une nécessaire recherche d’équilibre entre deux droits fondamentaux
Dans ces conditions, les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression revêtant une identique valeur normative, il appartient au juge saisi de rechercher leur équilibre et de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime selon les circonstances de l’affaire, dans un contrôle fondé sur la balance des intérêts en jeu. Par ailleurs, le Tribunal retient ici qu’il convient également de « préciser que le principe conventionnel et constitutionnel de la liberté d’expression doit être d’autant plus largement apprécié qu’il porte sur une œuvre littéraire ou artistique, la création artistique nécessitant une liberté accrue de l’auteur qui peut s’exprimer tant sur des thèmes consensuels que sur des sujets qui heurtent, choquent ou inquiètent ». La recherche d’équilibre entre deux droits fondamentaux d’égale valeur tend ainsi à devoir être appréciée de manière plus fine selon les circonstances de l’espèce.
Un tel rappel est régulièrement réalisé par les juridictions, qu’il s’agisse de l’utilisation non autorisée de l’image d’une personnalité célèbre ou non. Et si les illustrations d’un tel conflit en matière littéraire sont nombreuses – l’inspiration artistique puisant souvent dans le terreau de la réalité et des soubresauts de la vie –, elles s’avèrent plus rares en matière d’art plastique. Toutefois, les tribunaux ont pu être mobilisés ces dernières années afin de préciser les conditions de la nécessaire conciliation de ces deux libertés fondamentales.
C’est ainsi que toute restriction à la liberté d’expression, qui ne saurait toutefois être absolue et reste limitée par les droits d’autrui, suppose la démonstration que la mise en œuvre d’une telle liberté fondamentale porte une atteinte au respect dû à la vie privée occasionnant un préjudice présentant un caractère de particulière gravité.

L’absence de preuve d’un trouble particulièrement grave
En l’espèce, le Tribunal rappelle en premier lieu que la mère avait consenti à la captation et à l’utilisation des images, notamment en participant activement au tournage et en signant des autorisations. Le consentement éclairé au moment du tournage affaiblit considérablement les arguments en faveur d'une atteinte manifeste à la vie privée​
Par ailleurs, et toujours selon la juridiction saisie en référé, il n’est pas davantage démontré qu’une telle atteinte, à la supposer caractérisée avec l’évidence requise en référé, aurait causé à la défenderesse un trouble d’une particulière gravité qui seul peut justifier de porter une telle limite à la liberté d’expression et de création artistique.
C’est pourquoi, la demande formée la requérante tendant à la suspension provisoire de la diffusion du film litigieux est ici rejetée.

Cette décision s’inscrit dans la droite ligne de la jurisprudence française qui tend à protéger la liberté d'expression, en particulier dans le domaine artistique, tout en maintenant un juste équilibre avec le droit au respect de la vie privée. Il en résulte que, sauf en cas de préjudice particulièrement grave et manifeste, les juges hésitent à restreindre la diffusion d’œuvres artistiques, même lorsqu’elles touchent à la sphère privée des individus concernés. Pareille approche souligne l'importance accordée à la liberté de création, surtout lorsque celle-ci contribue à un débat d'intérêt général ou à la réflexion artistique sur des thèmes sensibles.

Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit du marché de l'art et au droit de l’art, notre Cabinet d’avocats assiste régulièrement des artistes ou des ayants droit dans la défense de leur liberté d’expression, de leur liberté de création et de leur liberté de création devant les juridictions civiles ou pénales. Notre Cabinet d’avocats assure également la protection des artistes ou des ayants droit dans la défense et dans l’exploitation de leurs droits de la personnalité (droit à l’image, droit à la vie privée, etc.). Notre Cabinet assure également la protection de la liberté d’expression, de la liberté d’opinion et de la liberté de création de ses clients, aussi bien en France qu’en Belgique (Brussels). Nous intervenons également en amont de tout projet d’édition, d’exposition ou de publication lorsque les droits de la personnalité d’autrui pourraient conduire à exposer nos clients à toute action à leur encontre.
Contributeur régulier dans des journaux de référence dans le domaine de l’art, Me Alexis Fournol a su développer une approche unique dans l’accompagnement de ses clients face aux potentiels risques réputationnels auxquels ils peuvent être confrontés. Notre Cabinet d’avocats a su ainsi développer une approche stratégique des moyens à mettre en œuvre pour préserver la réputation de ses clients, au-delà des seuls outils offerts en matière de droit de la presse (droit de réponse, action en diffamation, demande de rectificatif, etc.).