L’assujettissement des experts-marchands aux obligations en matière de LCB-FT
Article publié le 6 avril 2024
Un article écrit pour le journal de la Compagnie Nationale des Experts (CNE) à retrouver en son intégralité sur ce lien
L’actualité récente démontre une prise de conscience, tant par les professionnels du marché de l’art que par les autorités de contrôle en la matière, de l’assujettissement de certains de ces acteurs aux obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT). En effet, l’autorité de contrôle des acteurs du marché de l’art, la Direction générale des douanes et des droits indirects (DGDDI) a adressé durant l’été 2023 une note d’information relative à la mise en ligne de questionnaires d’auto-évaluation à destination des acteurs du marché de l’art. Par ailleurs, les premières sanctions pour non-respect de la réglementation applicable ont été prononcées par l’autorité de sanction, la Commission nationale des sanctions, en octobre 2023, à l’encontre de deux galeries d’art et de leurs dirigeants.
Certaines spécificités liées au marché de l’art sont désormais mises en exergue afin de justifier de vulnérabilités en matière de blanchiment et de financement du terrorisme, telles que la dimension internationale de ce marché, la confidentialité entourant les transactions et l’identité des parties à la vente, les modalités de paiement, le développement des ventes à distance, etc. Pour autant, de tels facteurs ne doivent pas conduire à une stigmatisation de l’ensemble du marché de l’art.
L’assujettissement aux obligations en matière de LCB-FT des acteurs de ce marché n’est pas nouveau. En effet, les personnes se livrant habituellement au commerce ou organisant la vente de pierres précieuses, de matériaux précieux, d’antiquités et d’œuvres d’art étaient soumises, de manière conditionnée, dès 2001, à de telles obligations. Le champ d’assujettissement de ces acteurs n’a eu de cesse depuis lors de s’étendre. Ces obligations sont dorénavant imposées lorsque trois conditions cumulatives sont réunies pour toute opération : (i) en lien avec l’activité, la négociation ou la qualité d’intermédiaire de professionnel du marché de l’art, (ii) en lien avec des objets considérés comme des « œuvres d’art et des antiquités » et enfin, (iii) dont « la valeur de la transaction ou d’une série de transactions liées est d’un montant égal ou supérieur à 10 000 euros ». Les notions employées au sein des dispositions légales ne sont aucunement définies, tant par les dispositions européennes que françaises. Ainsi, il est nécessaire de procéder à une détermination de la terminologie employée. En tout état de cause, l’expert-marchand n’est pas assujetti à de telles obligations lorsqu’il procède à la seule expertise d’un objet.
Dès lors que l’expert-marchand est assujetti, le respect d’un certain nombre d’obligations s’impose.
Celles-ci peuvent être regroupées en trois catégories, à savoir (i) la mise en place de politiques, de procédures et de mesures de contrôle en interne, ainsi qu’une obligation de formation en la matière, (ii) la mise en place d’une approche fondée sur les risques propres à son activité, afin de procéder à l’identification et à la vérification de la clientèle lorsque les conditions légales sont réunies, ainsi qu’à la mise œuvre de mesures de vigilance spécifiques au niveau de risque rencontré et enfin, (iii) la déclaration de soupçon.
Le Code monétaire et financier applique de manière indifférenciée de telles obligations à l’ensemble des acteurs assujettis, comprenant notamment les établissements bancaires, les notaires, les professionnels de l’immobilier, les avocats, etc., de telle sorte qu’il s’avère regrettable que des dispositions spécifiques à leurs activités ne soient pas appliquées aux acteurs du marché de l’art. À simple titre illustratif, la notion de « client » recouvre de manière indifférenciée le vendeur et l’acheteur, alors que les risques et les mesures s’appliquant à de telles catégories ne sont sensiblement pas les mêmes au sein du marché de l’art.
En ce qui a trait plus spécifiquement à la déclaration de soupçon, l’expert-marchand a l’obligation de l’effectuer lorsqu’il sait, soupçonne ou a de bonnes raisons de soupçonner que l’opération ou les sommes sont liées à une infraction passible d’une peine privative de liberté supérieure à un an ou sont liées au financement du terrorisme. Une telle déclaration ne peut être confondue avec une dénonciation, la première ayant vocation à satisfaire aux obligations légales. Dès lors, les procédures internes doivent déterminer les risques propres au domaine d’activité et, corrélativement, les défaillances devant conduire à procéder à une telle déclaration. Ainsi, l’expert-marchand doit être attentif à certains éléments qui lui sont présentés, tels que la volonté du client de s’acquitter du paiement de son acquisition par des montants en espèces supérieurs aux seuils fixés légalement ou encore la présentation d’un objet par un vendeur éventuel en provenance d’un État au sein duquel des groupes terroristes sont particulièrement actifs. Ainsi, le protocole interne doit, là-encore, aborder les spécificités propres à chaque domaine de spécialité d’un marché de l’art plus divers que ne le pense le législateur.
À défaut de satisfaire aux obligations légales, l’expert-marchand s’expose à un contrôle diligenté par la DGDDI, contrôle qui peut ensuite donner lieu à une éventuelle procédure devant la Commission nationale des sanctions. Celle-ci dispose de la faculté de prononcer des sanctions administratives, telle qu’une interdiction temporaire d’exercice de l’activité, et/ou financières. L’intérêt récent et croissant des autorités de contrôle et de sanctions pour les acteurs du marché démontre l’absolue nécessité d’appréhender les mécanismes liés aux obligations en la matière.
Un article écrit par Me Alexis Fournol
Avocat Associé
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste régulièrement les professionnels du secteur (commissaires-priseurs et galeristes notamment) ainsi que leurs syndicats dans la mise en conformité de leur activité au regard des contraintes attachées à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Notre Cabinet intervient aussi bien en France qu’en Belgique, notamment à Bruxelles.