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Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Contrat d’édition et produits dérivés

Deux auteurs avaient réalisé des photographies de la ville de Los Angeles après un travail d’immersion de cinq ans dans les ghettos de la Cité des Anges. Ce travail donna lieu à un contrat d’édition avec une société ayant une activité d’éditeur en rapport avec les jeux vidéo, la bande dessinée et les livres d’art avec l’édition d’un ouvrage en 2012 intitulé « L.A Kingz ». Le contrat d’édition prévoyait notamment la cession par les auteurs, à titre exclusif, de l’universalité des droits patrimoniaux afférents à l’ouvrage, dont le droit de reproduction, le droit de représentation, les droits d’utilisation secondaire et les droits dérivés.

Des photographies des deux auteurs, issues de l’ouvrage édité en 2012, furent sélectionnées, tirées, encadrées et exposées à la boutique Memento Mori à Lille en décembre 2012 et janvier 2013. Cette exposition donna lieu à la vente de tirages photographiques.

Mais les relations entre les auteurs et l’éditeur se sont dégradées en 2016 lors de la reddition de comptes pour le paiement de la rémunération proportionnelle attachée au livre, ainsi que sur le sort du prix de vente des photographies exposées chez Memento Mori. C’est pourquoi, les deux auteurs assignèrent en janvier 2017 leur éditeur afin de réclamer le paiement de sommes qu’ils estimaient leur être dues, outre une indemnisation pour le préjudice subi du fait de la rétention abusive des sommes et du manquement de l’éditeur de rendre compte. L’enjeu principal auquel ont été confrontés successivement le Tribunal judiciaire de Lille, puis la Cour d’appel de Douai résidait alors dans la possibilité ou non pour l’éditeur de réaliser de tels tirages photographiques et de procéder à leur vente au regard des termes du contrat d’édition.

La décision rendue par la Cour d’appel de Douai le 21 octobre 2021[1] est intéressante à un double titre. Elle permet, en premier lieu, de rappeler l’étendue des droits dont est investi un éditeur au titre du contrat d’édition et, en second lieu, d’envisager l’application du principe de l’application des règles générales d’interprétation des contrats, quand bien même le contrat concerné serait-il un contrat d’édition.

La faculté accordée à l’éditeur de réaliser des tirages multiples des photographies
Selon l’analyse du contrat d’édition opérée par la Cour d’appel de Douai, il résultait des dispositions de ce contrat que les auteurs avaient cédé à l’éditeur « l’ensemble des droits patrimoniaux, notamment le droit de reproduction et les droits d’utilisation secondaire et les droits dérivés afférents à l’œuvre laquelle œuvre est l’ouvrage intitulé « LA Kingz » composé presque exclusivement de photographies (224 pages sur 226) [des deux auteurs] et non un catalogue des œuvres que seraient les photographies ».
Et parmi ces droits, les auteurs avaient bien accordé à leur éditeur le droit d’exploiter « tout élément de l’ouvrage » pour donner forme à tout objet ou marchandise, susceptible d’être exploité dans le commerce et la publicité sous diverses formes, ce qui impliquait nécessairement l’autorisation d’extraire une ou plusieurs photographies issues de l’ouvrage pour une exploitation commerciale séparée. En d’autres termes, les auteurs avaient bien consenti une autorisation d’exploitation dérivée, c’est-à-dire la possibilité de réaliser des produits dérivés. Ainsi, en se référant à « tout élément de l’œuvre » dans le contrat, les parties avaient bien envisagé ici les photographies sélectionnées par l’éditeur pour constituer l’ouvrage publié en 2012.

L’interprétation du contrat au regard de la commune intention des parties
Pour autant, les deux auteurs considéraient qu’il s’agissait là d’une interprétation extensive du contrat, ce qui ne pourrait être accueilli en matière de contrat de cession de droits d’auteur et notamment dans le domaine de l’édition. Mais la Cour fait ici une analyse de l’économie de l’ouvrage concerné et de sa nature. En effet, selon la Cour, dès lors que l’ouvrage ne contenait que des photographies, il résulte des termes expressément visés dans l’article contesté du contrat, tels que « reproduction des personnages en imagerie », « posters », que la reproduction d’une ou plusieurs photographies composant l’ouvrage sous forme d’un tirage encadré, soit en tant que produit dérivé, était bien envisagée par le contrat.
Ainsi, sauf à dénaturer ledit contrat ou à lui enlever tout effet, la commune intention des parties était clairement affirmée dans les clauses du contrat qui résidait, dans l’intérêt bien compris des parties, dans le fait de permettre à la société éditrice d’exploiter les éléments constituant l’ouvrage aux fins de créer des produits séparés de l’ouvrage pouvant être vendus séparément, soit ici les photographies encadrées, exposées et vendues dans la boutique Memento mori.
L’interprétation stricte d’un contrat ne saurait ainsi empêcher de rechercher la « commune intention des parties » pour en permettre la parfaite compréhension.

Une distinction entre produits dérivés et œuvres d’art
Une distinction, récurrente en matière d’édition d’un ouvrage de bande dessinée ou d’illustration, était également opérée au sein du contrat conclu. Ainsi, un article intitulé « propriété des planches » (quand bien même l’ouvrage n’en comportait aucune !) indiquait que « les tirages originaux des photographies ainsi que les textes les illustrant demeurent la propriété matérielle de l’auteur qui peut librement en faire commerce dans les limites des droits cédés par celui-ci à l’éditeur ». Il semblait donc loisible pour les deux auteurs photographes de pouvoir réaliser des tirages originaux, c’est-à-dire des photographies tirées par leurs soins ou sous leur direction, numérotés et signés, éventuellement accompagnés d’un certificat d’authenticité.
Et la Cour d’appel énonce bien ici que l’éditeur n’avait aucunement vendu de tels tirages originaux, mais seulement des reproductions dont elle avait défini le format et le cadrage du tirage, supervisé le tirage ainsi que l’encadrement, tout en ayant demandé aux auteurs leur validation avant la mise en œuvre de ces opérations et le vernissage de l’exposition dans la boutique lilloise. Les tirages réalisés par l’éditeur consistaient donc bien en des produits dérivés de l’œuvre, exploitée par l’éditeur et ce, conformément aux dispositions contractuelles. Il n’en aurait pas été de même si des tirages numérotés avec un certificat d’authenticité avaient été vendus, puisque de tels tirages auraient alors été considérés comme des tirages originaux – au sens du contrat du contrat – c’est-à-dire comme des œuvres d’art – au sens du droit fiscal notamment -. Dans une pareille hypothèse, l’éditeur aurait alors outrepassé ses prérogatives contractuelles et commis des actes de contrefaçon.

Que retenir ?
o   la négociation contractuelle sur l’étendue et les modalités des produits dérivés est essentielle pour que chaque partie ait pleinement conscience des engagements qui sont les siens ;
o   la rémunération des auteurs en ce qui a trait aux produits dérivés peut répondre à des modalités différentes de celles attachées à la vente des exemplaires de l’œuvre ;
o   un produit dérivé, exploité par un éditeur, ne peut être assimilé à une œuvre d’art originale (planche originale, dessin original, tirage original, etc.) ;
o   tout auteur, sauf convention contraire, demeure propriétaire des éléments originaux remis à l’éditeur en vue de la publication de l’œuvre.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des auteurs de bande dessinée, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs.

[1] CA Douai, 1re ch., 2e sect., 21 oct. 2021, RG no 20/02828.