La proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques : quelles évolutions pour les restitutions entre Etats ?
Les demandes de restitution de la part d’Etats tiers pour des biens culturels conservés dans les collections publiques se sont multipliées ces dernières années. Ces réclamations s’inscrivent dans un contexte global d’un essor des revendications des biens conservés par d’anciennes puissances coloniales.
Le constat d’une multiplication des demandes de restitution de pays tiers pour des biens culturels conservés dans les collections publiques
Au cours des cinq dernières années, sept pays africains se sont adressés au Ministère de l’Europe et des affaires étrangères pour des demandes en ce sens[1]. C’est dans ce contexte qu’en novembre 2021, les vingt-six œuvres du trésor d’Abomey, auparavant conservées au Musée du Quai Branly, ont été rendues au Bénin[2]. Ces restitutions – ou transferts selon la terminologie adoptée par la loi – s’inscrivaient dans le prolongement du discours du Président de la République du 28 novembre 2017, à l’Université de Ouagadougou. Ce discours avait contribué à relancer la réflexion sur les restitutions et avait conduit à la rédaction d’un rapport[3] par Madame Bénédicte Savoy et Monsieur Felwinn Sarr. Pour autant, ce dernier se concentrait sur la partie subsaharienne de l’Afrique.
Au regard des propositions dudit rapport – dont « leur caractère pour le moins radical a contribué, non seulement à cliver, mais aussi à fausser celui-ci »[4] – et en réponse à la multiplication des demandes en restitution, la Commission de la culture du Sénat, à l’initiative de Madame Catherine Morin-Desailly, a lancé une mission d’information sur la restitution des biens culturels appartenant aux collections publiques à la fin de l’année 2019. La mission d’information s’est également étendue à la question éthique des restes humains patrimonialisés, dont l’exposition serait de moins en moins acceptée par le public[5].
Le 16 décembre 2020, la Commission adoptait le rapport de la mission d’information. Ce dernier contenait quinze propositions. Deux d’entre elles relevaient du domaine législatif et ont ainsi fait l’objet d’une initiative parlementaire, en donnant lieu à une proposition de loi relative à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques. C’est ce texte qui a été adopté en première lecture au Sénat le 10 janvier 2022. Si une loi-cadre fixant les modalités de restitution était attendue, cette proposition de loi est plus limitée en ce qu’elle prévoit uniquement l’instauration d’un Conseil de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européens, puis l’extension de la procédure judiciaire prévue à l’article L. 121-4 du Code du patrimoine à la restitution de certains restes humains.
La création d’un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens
En vertu de l’article L. 451-5 du Code du patrimoine, les biens constituant les collections des musées de France sont inaliénables. Le déclassement d’une œuvre appartenant aux collections publiques peut être prononcé, après avis conforme du Haut Conseil des musées de France[6], et à la condition que le bien concerné ait perdu son intérêt public à figurer dans les collections[7]. Le recours à une loi spéciale s’impose toujours.
Par ailleurs, la situation des biens réclamés par les pays tiers fait souvent obstacle à ce type de déclassement. En effet, la simple demande de restitution d’un bien aurait plutôt tendance à accentuer son intérêt. En outre, le déclassement des biens incorporés dans les collections publiques par dons ou legs n’est pas autorisé [8]. De fait, il en a résulté une succession de projets de loi ou le recours au véhicule juridique de la convention de prêt renouvelable ou de dépôt, à l’initiative du Gouvernement, pour procéder à des restitutions principalement sur la base de considérations diplomatiques selon le Sénat. Toujours selon le Sénat, une dépossession corrélative du rôle du Parlement en la matière en a résulté, ainsi que la mise à l’écart de la communauté scientifique dans l’étude des demandes de restitution.
La proposition de loi projette d’introduire de nouveaux articles L. 117-1 et suivants au Code du patrimoine. Ces derniers prévoient la création d’un Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens, détermine ses compétences et fixe sa composition.
Ce n’est pas la première organisation créée en ce sens. En effet, en 2010[9], la Commission scientifique nationale des collections (CSNC) avait été instaurée. Le décret fixant son organisation avait été publié un an après, et la nomination de ses membres avait requis plus de deux années supplémentaires. Cette instance n’avait donc été effective qu’à compter du 21 novembre 2013. Sa composition jugée pléthorique et les difficultés rencontrées pour réunir le quorum ont rendu son fonctionnement difficile. En outre, elle s’était déclarée incompétente pour juger des demandes de restitution, estimant qu’elle était exclusivement autorisée à prononcer le déclassement ou la cession de biens culturels qui auraient perdu leur intérêt public. Au regard de son bilan contrasté et des difficultés de fonctionnement, la CSNC a été supprimée à l’initiative du Gouvernement à la fin de l’année 2020[10].
La création du Conseil national de réflexion sur la circulation et le retour de biens culturels extra-européens vise à établir un cadre juridique pour le traitement des demandes de restitution « de manière impartiale et transparente[11]». A ce titre, cette instance serait chargée de donner son avis, en amont sur les demandes de restitutions de biens culturels présentées par des Etats étrangers. En revanche, ne sont pas concernés ceux se trouvant en France et sortis illicitement du territoire d’un autre Etat membre de la Communauté européenne, ainsi que la question des restes humains.
Ce Conseil serait également doté d’un rôle consultatif et réflexif autour de la question de la circulation des biens extra-européens et aurait aussi la charge de formuler des recommandations sur la méthodologie et les échéances concernant la recherche de provenance des collections publiques. Il serait composé de douze membres au maximum, qualifiés pour leurs compétences. L’objectif annoncé est donc d’insérer une dimension historique et scientifique dans la prise de décision et de faire barrage aux restitutions qui relèveraient du « fait du prince »[12].
Si le texte est adopté par l’Assemblée nationale, un décret en Conseil d’Etat viendra préciser les conditions d’application du présent chapitre. Souhaitant éviter les écueils rencontrés par le CSNC, le texte prévoit un délai de quatre mois à compter de la promulgation de la loi. L’enjeu sera alors, pour ce Conseil, de se constituer en réel organe. Or, si son avis n’est que consultatif, il lui sera difficile de maintenir une telle position. L’instauration d’un cadre pérenne pour les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques n’en est donc qu’à ses balbutiements. Ce Conseil n’interviendra toutefois pas dans les demandes de restitutions des restes humains conservés dans les collections publiques.
Un article écrit par Alix Vigeant
Stagiaire au sein du Cabinet entre janvier et juin 2022.
Dans le cadre de son activité dédié au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet assiste ses clients, notamment marchands ou commissaires-priseurs, confrontés à toute demande en revendication, que celle-ci émane d’un État étranger, de l’État français ou de particuliers.
[1] M. BRISSON et P.OUZOULIAS, Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, enregistré à la Présidence du Sénat le 16 déc. 2020.
[2] Loi n° 2020-1673 du 24 déc. 2020 relative à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.
[3] B. SAVOY et F. SARR, Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle, nov. 2018.
[4] M. BRISSON et P. OUZOULIAS, Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, enregistré à la Présidence du Sénat le 16 déc. 2020.
[5] Ibid.
[6] Article L. 451-5 du Code du patrimoine.
[7] Article R. 115-1 du Code du patrimoine.
[8] Article L. 451-7 du Code du patrimoine, et à l’exception de la restitution du sabre d’El Hadj Oumar Tall (voir en ce sens : https://www.fournol-avocat.fr/actualite/2019/11/22/la-restitution-du-sabre-del-hadj-omar-tall)
[9] Loi n° 2010-501 du 18 mai 2010 visant à autoriser la restitution par la France des têtes maories à la Nouvelle-Zélande et relative à la gestion des collections.
[10] Loi n° 2020-1525 du 7 déc. 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique.
[11] M. BRISSON et P. OUZOULIAS, Rapport d’information fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication par la mission d’information sur les restitutions des biens culturels appartenant aux collections publiques, enregistré à la Présidence du Sénat le 16 déc. 2020.
[12] Voir en ce sens : https://www.fournol-avocat.fr/actualite/2022/2/14/de-la-spoliation-la-restitution-vers-une-simplification-des-procdures-de-dclassement-des-biens-culturels-spolis-du-fait-des-perscutions-antismites