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Tintin au pays de la parodie

« Tintin et l’Alph-Art », dernier album posthume des Aventures de Tintin, mettait aux prises le célèbre reporter à un trafic de faux tableaux dont la révélation devait l’amener à être emprisonné dans une œuvre coulée à même son corps. Muséifié et exposé, Tintin devait ainsi rester figé à jamais, à l’image de l’œuvre de son créateur, qui n’avait pas souhaité offrir de nouvelles aventures à son personnage. Mais le caractère inachevé du scénario ouvrait le champ des possibles. Et c’est ce même champ des possibles que bien des admirateurs du reporter ont souhaité explorer depuis lors, multipliant hommages, détournements et histoires parallèles au grand dam de la société belge Moulinsart SA, qui gère la quasi-totalité des droits patrimoniaux sur l’œuvre d’Hergé, et de la veuve de Georges Remi. Réputée – si ce n’est décriée – pour son contrôle très strict de l’utilisation de l’œuvre du chantre de la ligne claire, Moulinsart SA ne cesse de porter sur le terrain judiciaire ses revendications à l’encontre des créations non-autorisées prenant appui sur l’univers, les personnages et l’œuvre des Aventures de Tintin. Mais parfois, qui trop embrasse mal étreint.

Le caractère exclusif du droit d’auteur, assise de la faculté d’autoriser ou non l’utilisation d’une œuvre par un tiers, est limité par de nombreuses exceptions, dont l’exception dite de parodie visée en France à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, prenant appui sur la liberté d’expression. Si la cour d’appel de Paris avait rejeté, le 18 février 2011, l’action en contrefaçon menée à l’encontre des éditions du Léopard masqué, ayant publié une série de romans parodiques narrant les aventures de Saint-Tin et de son ami Lou de Gordon Zola, la décision rendue par le Tribunal judiciaire de Rennes, le 10 mai 2021, offre une nouvelle illustration de l’appréciation parodique d’un détournement de l’œuvre d’Hergé par les tribunaux français. Après avoir travaillé à partir de l’œuvre de Dali, Xavier Marabout, un artiste-peintre, s’était intéressé à Tintin, en s’interrogeant sur la vie amoureuse du reporter par de nombreuses mises en scène dans des situations inspirées de toiles du peintre Edward Hopper, afin de « marabouter » des éléments de sa vision de la société et de sa propre culture. Mais la vente de ces toiles, sexualisant l’univers de Tintin, attira l’ire des ayants-droit qui en demandèrent sans succès le retrait du circuit commercial avant de saisir la justice française.

L’appréhension judiciaire de l’exception de parodie
Le tribunal judiciaire de Rennes vient de les débouter de toute prétention au nom de l’exception de parodie. Cette exception légale empêche un auteur d’interdire « la parodie, le pastiche et la caricature, compte tenu des lois du genre ». Mais depuis une décision de la Cour de justice de l’Union européenne du 3 septembre 2014, l’appréhension de la définition de cette exception a évolué par l’abandon de toute référence aux lois du genre. La parodie doit désormais « évoquer une œuvre existante, toute en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci » mais aussi « constituer une manifestation d’humour ou de raillerie ». Enfin, un nécessaire « juste équilibre [doit être trouvé] entre les intérêts des auteurs et la liberté d’expression de l’utilisateur ». C’est cette grille de lecture qui a désormais les faveurs des juges nationaux, notamment depuis une décision de la Cour de cassation du 22 mai 2019 relatif au buste de Marianne créé par Aslan et détourné en une du Point, et qui a été reprise ici par le tribunal et qui avait également été utilisée, en 2019 et en 2021, par la cour d’appel de Paris dans les deux procès intentés à l’encontre de Jeff Koons en France.

Ainsi, l’identification immédiate de l’œuvre parodiée ne soulevait aucune difficulté, car les personnages reproduits dans les tableaux litigieux se rattachaient manifestement à ceux des albums d’Hergé tout en étant plongés dans chaque œuvre inspirée de l’univers de Hopper, dont le tribunal relève la prédominance dans les compositions. Quant à l’intention humoristique, et non critique ici, celle-ci est notamment « ressentie » par le tribunal qui constate que « l’œuvre austère d’Edward Hopper se trouve réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre de Hergé qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ». L’effet humoristique s’infère alors de « l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres de Hopper et de l’absence de présence féminine au côté de Tintin, à l’exception des personnages caricaturaux de Bianca Castafiore et Irma, cet effet invite le spectateur à imaginer une suite qui provoque le sourire ». Le tribunal relève enfin que l’intention poursuivie se départit de toute volonté de nuire. Pareille précision est d’importance, car le bénéfice de l’exception de parodie peut être écartée lorsqu’une telle volonté s’avère à l’œuvre. C’est ainsi que fut condamnée, par le Tribunal de grande instance de Paris le 15 janvier 2015, pour violation du droit moral la personne qui avait repris et modifié l’Aigle noir de Barbara afin de promouvoir un message de haine, au motif qu’elle ne poursuivait aucune intention humoristique mais avait pour seule volonté de « salir une artiste reconnue en dénaturant son texte et en y ajoutant des commentaires nauséabonds ».

Le bénéfice de l’exception de parodie reconnu
Le tribunal poursuit en concluant que les toiles de Xavier Marabout bénéficiaient bien de l’exception de parodie en ce qu’elles citent l’œuvre d’Hergé « de manière à la fois reconnaissable et distincte, dans un but humoristique ou de critique » et qu’aucun dénigrement ou un avilissement de l’œuvre originale n’existe, certaines scènes étant seulement sexualisées par la présence de femmes « sans doute suggestives du désir mais à l’exclusion de toute représentation d’un acte sexuel, certaines créations sont du reste très peu allusives ou ne le sont pas du tout ». Surtout, à l’examen de ces tableaux, le propos parodique semble d’emblée perçu à la lecture des titres qui font référence à l’œuvre de Hopper (par exemple, Baiser sous le pont de Queenboro, rappelant la toile Queenborough Bridge) et par les citations des personnages d’Hergé, une juxtaposition de deux univers renseignant immédiatement sur la volonté de l’auteur de travestir et de détourner les images avec le dessein de constituer une œuvre “à la manière de Hopper” où sont transportés Tintin et d’autres personnages de son univers. En 2011, la cour d’appel de Paris avait pu rappeler que « le propos parodique doit être perçu sans difficulté́ ce qui suppose à la fois une référence non équivoque à l’œuvre parodiée et une distanciation recherchée qui vise à travestir ou à subvertir l’œuvre dans une forme humoristique, avec le dessein de moquer, de tourner en dérision pour faire rire ou sourire ». Ce double impératif contradictoire est assurément plus aisé à satisfaire, lorsque l’œuvre parodique consiste en un « mashup » entre deux œuvres préexistantes et ce d’autant lorsque l’une des œuvres apparaît de manière presque accessoire par rapport à l’autre.

À défaut de risque de confusion, écarté notamment au regard de la notoriété de l’œuvre en cause, il convenait enfin de s’assurer que la démarche poursuivie n’était pas, selon le tribunal, purement commerciale et mercantile, en vue de s’approprier la valeur économique de l’œuvre d’Hergé. C’est là la question de la garantie du juste équilibre entre la liberté d’expression et les droits de l’auteur source de l’inspiration du parodiste, selon la décision de la Cour de justice. Selon les magistrats de Rennes, « le tribunal est en mesure de considérer ainsi que la violation alléguée des droits de l’auteur est de faible ampleur et n’entraîne qu’une perte financière minime voire totalement hypothétique pour les ayants droit, lesquels ne peuvent s’opposer à la liberté de création, l’intérêt de l’artiste à la libre utilisation de l’œuvre dans le cadre d’une confrontation sur le terrain artistique devant prévaloir sur les simples intérêts financiers des titulaires de droit ». La formulation mérite d’être citée en son entier tant elle dénote une critique sous-jacente du comportement des ayants-droit d’Hergé, finalement sanctionnés pour avoir dénigré Xavier Marabout auprès de tiers en affirmant sans précaution aucune que ses créations étaient des contrefaçons de l’univers de Tintin.

Un précédent bruxellois
Cette décision n’est pas s’en rappeler celle rendue par la cour d’appel de Bruxelles le 14 juin 2007. Un peintre danois, Ole Ahlberg, avait exposé ses toiles dans une galerie bruxelloise, peintures parmi lesquelles étaient reproduits de célèbres personnages d’Hergé (Tintin, Milou, le capitaine Haddock) contemplant, surpris, des femmes en déshabillés aguicheurs ou dans des poses lascives. De la même manière, une de ses toiles reprenait la structure d’une œuvre célèbre de Magritte, « la Golconde », dans laquelle des personnages tombent du ciel comme des rideaux de pluie. Ici, les personnages utilisés par l’artiste danois avaient pris la forme des fameux Dupont et Dupond d’Hergé se démultipliant. Les ayants droit respectifs d’Hergé et de Magritte s’étaient alors manifestés auprès de la galerie en mettant en demeure celle-ci de cesser l’exposition des toiles litigieuses. Ils demandèrent corrélativement la destruction des toiles, sans toutefois aller jusqu’à introduire une instance judiciaire. L’action judiciaire fut donc portée devant les juridictions bruxelloises par le peintre, qui se plaignait du harcèlement des deux ayants droit en se fondant sur la procédure dite de cessation[1]. La cour d’appel, infirmant la décision de première instance, donna raison au peintre, en considérant que « l’humour ne peut être réduit à la qualité de ce qui provoque le rire. Il est la forme d’esprit qui consiste à présenter les choses de manière à en dégager les aspects plaisants et insolites. L’humour peut être noir et froid ». La cour en conclut alors que « les œuvres contestées ont bien un caractère humoristique dans la mesure où les associations ou juxtapositions fortuites d’images qu’elles réalisent sont absurdes et burlesques si on les met en relation avec l’œuvre originale dont elles empruntent des éléments »[2]. Néanmoins, la Cour de cassation belge cassa la décision rendue sur les seules modalités de mise en œuvre de la procédure de cessation dès lors que l’arrêt n’avait pas fondé légalement le fait que le défendeur invoquait une atteinte à son droit d’auteur justifiant la compétence du président du tribunal pour en constater l’existence et en ordonner la cessation[3].

Cet article est paru dans l’édition française de The Art Newspaper de juin 2021.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger.
Notre Cabinet a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée.

[1] Procédure fondée sur l’article 87, §1er de la loi du 30 juin 1994.

[2] CA Bruxelles, 14 juin 2007, J.L.M.B., 2007, p. 1779 et s.

[3] Cass. 1re ch., 18 juin 2010, Pas., 2010, p. 1933 et s., RG no C.08.0247.F.