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Des contrefaçons avérées d’œuvres d’Hergé reprises en trois dimensions

Le Tribunal judiciaire de Marseille a condamné, le 17 juin 2021[1], un artiste aixois pour la contrefaçon des droits dont sont titulaires la veuve d’Hergé, légataire universelle de l’artiste depuis sa mort en 1983, et la société belge Moulinsart SA en raison de la création de cinquante-cinq œuvres consistant essentiellement en des bustes et fusées reprenant le graphisme et l’univers d’Hergé.

Titulaire des droits dérivés et secondaires attachés à l’œuvre d’Hergé, la société belge Moulinsart SA produit et met en vente, notamment via son site Internet, des bustes intitulés Bustes Tintin « pense-grand » mat et brillant en porcelaine de Limoges. Ces œuvres reprennent sous forme tridimensionnelle le personnage de Tintin tel qu’il est représenté au sein d’une vignette de l’album « Les Sept Boules de Cristal » paru en 1948. Constatant en mars 2019 que le sculpteur Christophe Tixier, exerçant sous son pseudonyme artistique Peppone, ainsi que sa galerie, reproduisait sans autorisation des œuvres originales d’Hergé, la société, ainsi que la veuve d’Hergé, les ont attraits en justice. Cet artiste aixois sculpte dans la résine et la fibre de verre stratifiée des personnages connus du grand public tels que Spiderman, Snoopy, Mickey et surtout des bustes de Tintin. Dans son atelier, Christophe Tixier a ainsi marouflé quatre-vingt-dix sculptures de Tintin en résine avec les vignettes des albums de son père.

La ligne de défense de l’artiste attrait en contrefaçon, et celle de sa galerie, était double : Tintin ne serait pas protégeable par le droit d’auteur, à défaut d’être original puisqu’il ne constituerait qu’une reprise d’un personnage inventé par Benjamin Rabier, et, en tant qu’artiste, il bénéficierait d’une liberté artistique fondée ici sur l’exception dite de parodie. Mais aucun de ces deux arguments n’a prospéré auprès du Tribunal judiciaire de Marseille.

Tintin n’est pas le Tintin-Lutin de Benjamin Rabier
Concernant l’originalité du personnage même de Tintin, les défendeurs ont tenté de dénier son caractère protégeable en soutenant qu’Hergé aurait repris le nom et le graphisme du personnage de Tintin-Lutin créé en 1898 par Benjamin Rabier, « l’homme qui fait rire les animaux », créateur notamment des illustrations originelles de la Vache qui rit que de la baleine de la marque de sel homonyme. À l’instar du personnage d’Hergé, Tintin Lutin, premier album pour enfants de Benjamin Rabier écrit avec Fred Isly, représentait un jeune garçon blond avec une légère houppette, portant un pantalon de golf et parfois accompagné d’un chien.

Cette thèse, aucunement nouvelle, n’a pour autant pas emporté la conviction du Tribunal judiciaire de Marseille qui estime que, bien que les deux Tintin portent une même culotte de golf beige, les deux personnages s’avèrent différents, leur visage se démarquant sensiblement et le caractère du Tintin-Lutin demeurant totalement inconnu. Surtout, les requérants ont corrélativement expliqué, à partir d’un entretien d’Hergé donné à l’occasion d’une émission d’Apostrophes en 1979, la démarche créatrice de l’auteur et les choix arbitraires fondant l’originalité de son personnage. Ainsi, l’auteur y dévoilait que son personnage constituait une « partie » de sa personne, une « projection » de lui-même espérant ne pas vieillir, qu’il s’agit d’un « travail personnel » et qu’afin d’élaborer son personnage, qu’il souhaitait jeune et dynamique, il s’était « contenté de faire un petit fond, un cercle, une petite mèche pour donner un accent ». Le Tribunal retient dès lors que « l’ensemble de ces caractéristiques physiques symbolisant la jeunesse, l’innocence et le dynamisme du personnage associées au trait original d’Hergé le rendent particulièrement reconnaissable. Ils ne procèdent en particulier d’aucune nécessité et résultent, ainsi qu’il résulte des propos même d’Hergé, de choix purement arbitraires, destinés à exprimer sa personnalité et ses aspirations. En outre les propos mêmes d’Hergé sont de nature à exclure toute forme d’inspiration chez un auteur plus ancien ».

Quant à la comparaison même avec le personnage de Rabier, celle-ci n’a aucune pertinence pour le Tribunal dès lors que l’élément essentiel de reconnaissance, à savoir le visage du héros, est totalement différent et qu’aucun trait de caractère du personnage n’est commun avec Tintin. Le personnage créé par Hergé est donc bien protégé par le droit d’auteur, dès lors qu’il constitue une œuvre de l’esprit.

Un tel argument avait également été soulevé en défense devant le Tribunal judiciaire de Rennes, à l’occasion de la procédure initiée à l’encontre de l’artiste Xavier Marabout. La juridiction avait alors retenu qu’il « est suffisamment établi que le personnage Tintin est inspiré de l’œuvre de Benjamin Rabier, ainsi que l’a déclaré Hergé lui-même ». Néanmoins, selon le Tribunal, Hergé, en « faisant usage de son propre génie créatif en a fait un homme adulte, qui s’en distingue désormais et constitue un personnage original en ce qu’il est rattaché à son auteur dont l’œuvre est caractérisée par la ligne claire »[2]

De la même manière, le Tribunal judiciaire de Marseille rejette les arguments de l’artiste aixois et de sa galerie parisienne visant à dénier toute originalité à la fusée de l’album Objectif Lune et aux dix-huit titres d’albums invoqués par les demandeurs, en raison des actes de contrefaçons également commis à leur égard.

Des contrefaçons lourdement sanctionnées
Le Tribunal judiciaire de Marseille retient également que les œuvres créées par Peppone et commercialisées essentiellement par sa galerie parisienne constituent des contrefaçons tant au détriment de la société Moulinsart SA que de la veuve d’Hergé. En effet, les bustes incriminés reprennent de manière servile le graphisme du personnage de Tintin et les modèles des bustes de Tintin commercialisés par la société Moulinsart SA, à la seule différence que les dimensions et les couleurs ne s’avèrent pas identiques. Au-delà de cette reprise servile, le sculpteur aixois avait procédé à l’ajout de reproductions de pages entières des albums des aventures de Tintin, ainsi que les titres des albums reproduits, non de façon entière mais dans leurs éléments essentiels.

Afin de tenter de ne pas voir sa responsabilité engagée, Peppone soulevait alors l’exception de parodie sans aucun doute en espérant pouvoir se placer dans le sillage de décisions récentes, à l’instar de celle rendue par le Tribunal judiciaire de Rennes en mai 2021 au détriment des ayants droit d’Hergé. Pour autant, la « lettre ouverte » intitulée Tintin, l’ordre et le chaos transmise par l’artiste poursuivi, afin de justifier de sa position soi-disant parodique, ne contenait, selon le Tribunal « qu’une remise en cause du droit de la propriété́ intellectuelle et une revendication du fait de pouvoir s’en affranchir, sous le seul prétexte que la figure de Tintin serait universellement connue ». À défaut de parvenir à prouver une quelconque « distanciation comique », le Tribunal dénie le bénéfice de l’exception de parodie au sculpteur.

Peppone est alors condamné solidairement avec sa galerie à payer à la société Moulinsart SA 114.157 euros, somme correspondant à la confiscation des recettes procurées par la contrefaçon, une indemnisation au titre de leur préjudice moral tenant à la dépréciation de l’image et l’atteinte à la réputation de la société belge. La veuve d’Hergé obtient, quant à elle, une indemnisation de 10.000 euros au titre de l’atteinte au droit moral. Et le préjudice économique réellement subi doit encore faire l’objet d’une justification comptable complémentaire pour la période postérieure à février 2019. La présente décision a fait l’objet d’un appel.

Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger.
Notre Cabinet a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée.

[1] TJ Marseille, 1re civ., 17 juin 2021, n° 19/03947.

[2] TJ Rennes, 2e ch. civ., 10 mai 2021, RG no 17/04478.