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La Cour de cassation confirme à nouveau la modulation de la charge du droit de suite

Aux termes d’un arrêt du 29 janvier 2019, rendu à la suite du pourvoi formé par le CPGA, la première chambre civile de la Cour de cassation s’est placée dans l’exact sillage de la solution retenue par l’Assemblée plénière en novembre 2018. Le droit de suite peut être contractuellement mis à la charge de l’acquéreur par le biais des conditions générales de vente.

Il aura ainsi fallu presque dix ans pour trancher une question en suspens depuis les procédures judiciaires initiées par le Syndicat National des Antiquaires (SNA) et le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA) à l’encontre de Christie’s France. Les litiges portaient tous deux sur la validité d’une clause, insérée dans les conditions générales de la vente Yves Saint Laurent/Pierre Bergé de février 2009, selon laquelle Christie’s France percevait de la part de l’acheteur une somme équivalente au montant de la redevance due à l’auteur au titre du droit de suite. Or, l’article L. 122-8, alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle dispose expressément que la charge du droit de suite pèse sur le vendeur, sans pour autant exclure un éventuel aménagement contractuel.

À la suite de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 26 février 2015, la Cour de cassation avait cassé et annulé, le 3 juin 2015, la décision de la cour d’appel de Paris du 12 décembre 2012 dans l’affaire portée par le SNA, et ce, pour violation de l’article L. 122-8 du Code de la propriété intellectuelle, article pivot instaurant le régime légal du droit de suite. La Cour de cassation n’avait pas ainsi entendu aller au-delà de la réponse apportée par la CJUE, qui ouvrait la possibilité aux États membres de l’Union européenne d’accepter des aménagements contractuels à la charge du droit suite ou au contraire d’imposer que seul le vendeur devait la supporter, sous la réserve de toujours assurer les intérêts des auteurs ou de leurs ayants-droit. En censurant l’arrêt d’appel ayant déclaré nulle et de nul effet la clause figurant dans les conditions générales de la société Christie’s France, la Cour de cassation semblait indiquer que le législateur français n’avait pas entendu interdire cet aménagement et que les dispositions du Code de la propriété intellectuelle n’étaient pas d’ordre public.

Pour autant, un nouveau rebondissement survint lorsque les magistrats de la cour d’appel de Versailles, saisie après renvoi sur cassation, décidèrent de résister à une telle analyse et d’invalider la clause insérée par Christie’s. L’arrêt du 24 mars 2017 de la cour d’appel qualifiait ainsi la règle visée par le Code de la propriété intellectuelle d’impérative, cette qualité étant fondée sur un ordre public de direction. Mais cette décision a été, à son tour infirmée, par la Cour de cassation qui clôt ici définitivement le litige aux termes d’une décision rendue par l’assemblée plénière, dans l’affaire concernant le SNA, et d’une autre par la première chambre civile, dans l’affaire concernant le CPGA.

 L’assemblée plénière avait ainsi retenu, le 9 novembre 2018, qu’il n’est pas fait « obstacle à ce que la personne redevable du droit de suite, que ce soit le vendeur ou un professionnel du marché de l’art intervenant dans la transaction, puisse conclure avec toute autre personne, y compris l’acheteur, que celle-ci supporte définitivement, en tout ou en partie, le coût du droit de suite, pour autant qu’un tel arrangement contractuel n’affecte pas les obligations et la responsabilité qui incombent à la personne redevable envers l’auteur ». Quant à la décision rendue par la première chambre civile le 29 janvier 2019, dans l’affaire relative au pourvoi formé par le CPGA, celle-ci emprunte les mêmes termes. En d’autres termes, il est donc possible de déroger contractuellement à la règle édictée par l’article L. 122-8 du Code dès lors qu’est assurée au profit de l’auteur, ou de ses ayants droit, la rétribution économique due au titre du droit de suite.

 Les intermédiaires du marché de l’art, notamment les opérateurs de ventes volontaires, pourront donc demain, et sereinement, faire contractuellement peser la charge du droit de suite, en tout ou partie, sur les acheteurs offrant ainsi un nouvel argument commercial aux vendeurs exigeants. La pratique pourra également faire preuve d’imagination, la charge du droit de suite pouvant peser sur « toute autre personne, y compris l’acheteur » et non les seuls vendeurs, intermédiaires et acheteurs. Néanmoins, la primauté de la liberté contractuelle pourrait avoir vocation à engendrer des situations délicates pour toute personne qui aurait dû s’acquitter du droit de suite d’abord en qualité d’adjudicataire, puis en qualité de vendeur lors de la remise à l’encan de l’œuvre acquise. En pareille hypothèse, celui-ci aurait alors vocation à payer deux fois un tel droit.

 Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour.

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Arrêts cités :
Cass. AP, 9 nov. 2018, no 17-16.335.
Cass. civ. 1re, 29 janv. 2019, no 17-16.336.