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Une photographie n’a pas a être « artistique » pour bénéficier du taux réduit de TVA des objets d’art

Dans une décision du 2 décembre 2019, le Conseil d’Etat, suivant l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne[1] consacre l’application du taux réduit de TVA à des portraits et photographies de mariage quand bien même de telles réalisations ne relèveraient pas d’une création qualifiable d’artistique. L’indifférence de la destination ou de la nature d’une réalisation photographique aurait dû imposer depuis longtemps une telle solution.

Depuis la directive du 28 novembre 2006[2], la taxe sur la valeur ajoutée est harmonisée entre les différents Etats membres de l’Union européenne afin d’organiser le marché commun. Cette directive prévoit notamment que les objets d’art peuvent bénéficier d’un taux réduit de TVA lorsqu’ils sont importés sur le territoire de l’Union-européenne ou vendus par leur « leur auteur ou par ses ayants droit ». C’est à propos de cette deuxième option qu’un litige s’était noué entre la société Regards Photographiques et l’administration fiscale française.

La société Regards Photographiques commercialisait des portraits photographiques et des livres d’or de mariage au taux réduit de la taxe sur la valeur ajoutée soit en appliquant un taux de 5,5 % et non de 20 %[3]. Toutefois, à l’occasion d’une vérification de comptabilité, l’administration fiscale remettait en cause le bénéfice de ce taux réduit, emportant pour la société une réévaluation de son imposition au titre la TVA. Les arguments de la société avaient été rejetés tant en première instance qu’en appel. Néanmoins, une fois le litige porté devant le Conseil d’Etat, ce dernier a interrogé la Cour de justice de l’Union européenne par le biais du mécanisme de la question préjudicielle quant à l’interprétation de la directive TVA.

En effet, si la directive prévoit bien que pour être qualifié d’objet d’art les photographies doivent être « prises par l’artiste, tirées par lui ou sous son contrôle, signées et numérotées dans la limite de trente exemplaires, tous formats et supports confondus. », l’administration fiscale française avait ajouté des conditions supplémentaires pour limiter ce régime aux seules « photographies d’art »[4]. Selon Bercy, devaient être qualifiées de photographie d’art, « les photographies qui portent un témoignage d’une intention créatrice manifeste ». Afin de préciser son appréciation, l’administration avait estimé qu’il fallait tenir compte du choix du thème, des conditions techniques (mise en scène et de point de vue, du cadrage, de la composition, choix de l’objectif…) et de l’intérêt de cette photographie pour le public. En outre, l’administration excluait explicitement les photographies consistant en « la simple fixation mécanique du souvenir d’un événement, d’un voyage ou de personnages » telles les photographies scolaires, de groupes, de mariage ou d’événements religieux. Ainsi, pour relever de ce régime d’imposition favorable, le redevable devait prouver, outre les critères de la directive européenne, que les clichés révélaient « l’intention créatrice de l’auteur » et leur intérêt pour tout public, en s’appuyant notamment sur l’organisation d’exposition des photographies dans des institutions culturelles ou des galeries d’art.

C’est pourquoi, deux questions préjudicielles avaient ont été soumises à la Cour de justice de l’Union européenne par le Conseil d’Etat et s’articulaient de la manière suivantes. D’une part, est-ce que les conditions prévues dans la directive devait être interprétées strictement et, d’autre part, si il était permis au Etats membres de prévoir des conditions supplémentaires à cette directive afin d’exclure les photographies ne présentant pas un caractère artistique.

La réponse de la Cour de justice de l’Union européenne à la première question est limpide. En premier lieu, le terme « artiste » employé dans la directive, et sur lequel l’administration fiscale française s’appuyait pour justifier l’exclusion des clichés « mécaniques », ne renvoie pas à une notion esthétique mais à la notion d’auteur de l’œuvre d’art. Ensuite, l’interprétation des conditions énumérées par la directive doit être réalisée de manière stricte en application du principe de neutralité fiscale qui s’oppose à ce que les consommateurs européens soient traités de manière différente pour l’application de la TVA. Enfin, la directive TVA a pour objectif d’éviter la distorsion de concurrence entre les différents assujettis européens. Par conséquent, l’administration fiscale française ne pouvait ajouter des critères « subjectifs et flottants » pour exclure de ce régime certaines photographies, alors que les autres Etats membres ne mobilisant pas de telles restrictions.

La décision de la Cour est toute aussi claire concernant la deuxième question. D’une part, les critères retenus depuis 2003 par l’administration fiscale sont « vagues et subjectifs » et ne permettent pas l’identification et la distinction des photographies présentant un caractère artistique de celles n’en représentant pas. D’autre part, ces critères sont susceptibles d’entraîner un traitement différent entre les consommateurs ce qui est contraire au principe de neutralité fiscale. Dès lors, un Etat membre ne peut exclure une catégorie de photographies du régime de TVA qu’à la condition qu’il puisse s’appuyer sur des critères objectifs, clairs et précis, ce qui n’était pas le cas de ceux employés par l’administration fiscale française.

Reprenant les arguments de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’Etat donne ainsi raison à la société redressée et annule l’arrêt rendu par la Cour administrative d’appel d’Orléans.

La décision de la Cour de justice a également pour intérêt de préciser la marge de manœuvre de l’administration fiscale dans son appréciation. La future mise à jour du BOFIP concernant la qualification des photographies en tant qu’objet d’art pourrait être l’occasion de prendre en considération de certaines revendications des professionnels du marché de l’art, telles que l’inclusion des photographies anciennes et non signées portée notamment par le Comité professionnel des galeries d’art (CPGA). Néanmoins, la directive était d’interprétation stricte et prévoyant expressément que les tirages doivent être signés et numérotés, il semble aujourd’hui difficile d’espérer une modification du BOFIP sur ce sujet. Une modification de la réglementation au niveau européen s’avère nécessaire.

Un article écrit par Simon Rolin

Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l'art et du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement ses clients sur des problématiques fiscales, dont celles attachées à la détermination du taux de TVA applicable aux opérations réalisées.

[1] CJUE, 2e ch., 5 sept. 2019, no C-145/18.

[2] Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée.

[3] CAA Nantes, 1re ch., 21 avr. 2016.

[4] Instruction de la direction générale des impôts du 25 juin 2003, publiée au Bulletin officiel des impôts le 2 juillet 2003.