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Les documents du général d’Empire de Chasseloup-Laubat sont des archives publiques

Le 12 juin 2018, la Cour de cassation a mis fin au contentieux qui opposait depuis plusieurs années Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat à l’État, en rejetant la qualification d’archives privées à l’égard de l’ensemble des documents ayant appartenus au général de Chasseloup-Laubat.

Ces dernières années, plusieurs actions en revendication de biens culturels se trouvant entre les mains de personnes privées ont été engagées par l’État.

Ainsi, en 2008, des documents issus des fonctions gouvernementales exercées par le Maréchal Pétain ont été revendiqués par l’État auprès d’une société de ventes volontaires. La cour d’appel a alors retenu que ces archives du Maréchal Pétain constituaient bien des documents publics devant être restitués à l’État[1], solution confirmée depuis par la Cour de cassation[2].

En 2012, des difficultés étaient nées à propos de la qualité d’archives publiques de trois cent treize brouillons de télégrammes manuscrits rédigés par le général de Gaulle entre 1940 et 1942. Une nouvelle fois, la qualification et le bien-fondé de l’action en revendication de l’État avait été confirmé[3].

Les archives Chasseloup-Laubat : une saga judiciaire
Le litige relatif aux archives du général de Chasseloup-Laubat s’inscrit ainsi dans un foisonnement de décisions récentes. Bien que la présente saga judiciaire leur soit antérieure, sa résolution si tardive se justifie par le nombre de difficultés juridiques inédites à trancher.  

L’origine de cette affaire débute en 2003. Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat est un descendant du général François de Chasseloup-Laubat (1754-1833), commandant du corps de génie pendant plusieurs campagnes napoléoniennes.

En 2003, soit cent-soixante-dix ans après la mort du militaire, son descendant a décidé de disperser au feu des enchères des plans, dessins, croquis et cartes ayant appartenus à son ancêtre.

Le ministère de la Défense s’est alors opposé à cette vacation, estimant qu’une partie du fonds d’archives appartenait à l’État.

Face à la contestation de l’héritier, il a saisi le Tribunal administratif de Poitiers fut saisi afin de trancher la question de la qualification des documents revendiqués. Le 17 décembre 2008, la juridiction administrative reconnaissait la qualité d’archives publiques au fonds litigieux et ordonnait au possesseur de le restituer au ministère de la Défense.

Cependant, le 15 juillet 2009, la Cour administrative d’appel de Bordeaux annulait le jugement de première instance au motif que la demande du ministre n’était pas recevable. En effet, selon la cour administrative d’appel, les personnes publiques sont irrecevables à demander au juge administratif de se prononcer sur les limites du domaine public[4].

Pour autant, le Conseil d’État confirmait que les documents litigieux devaient être considérés comme des archives publiques. Cependant, en raison de l’action en revendication engagée par le Ministre de la défense devant le juge judiciaire, la juridiction administrative décida de surseoir à statuer[5].

Le 9 juillet 2012, le Tribunal des conflits confirmait la compétence des tribunaux judiciaires pour connaître du litige. En effet, une action en revendication introduite par une personne publique à l’encontre d’une personne privée relève de la compétence du juge judiciaire, « sous réserve d’une éventuelle question préjudicielle posée au juge administratif en cas de difficulté sérieuse portant sur la détermination du caractère public desdites archives »[6]

Le Conseil d’État s’est donc de nouveau prononcé à cet égard afin d’annuler le jugement du Tribunal administratif de Bordeaux et l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux et de laisser l’action en revendication du ministre à l’appréciation du juge judiciaire[7].

L'action en revendication portée devant le juge judiciaire
En première instance et en appel, le juge judiciaire a donné gain de cause à Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat, au motif que les documents litigieux étaient en grande partie des doubles ou des copies.

Cependant, le 21 octobre 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation rendait une décision défavorable au descendant du général et renvoyait l’affaire à la cour d’appel de Paris.

Cette dernière a condamné Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat à remettre les documents litigieux au ministre de la Défense, en confirmant la qualification d’archives publiques.

Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat s’est pourvu en cassation. Il invoquait l’irrecevabilité de l’action du ministre engagée devant le juge judiciaire en raison de l’absence d’émission d’une mise en demeure par lettre recommandée au préalable, conformément aux prescriptions du décret du 17 septembre 2009 devenu l’article R. 212-7 du Code du patrimoine.

La décision du 12 juin 2018

Son pourvoi a néanmoins été rejeté par la première chambre civile de la Cour de cassation le 12 juin 2018. La Haute juridiction confirme la décision rendue par la cour d’appel de Paris en retenant que l’action en revendication a été engagée avant l’entrée en vigueur du décret précité. En effet, la cour d’appel a déterminé la date de l’engagement de l’action en revendication au regard de la requête introduite devant le juge administratif le 17 décembre 2008, soit à une date antérieure à l’entrée en vigueur du décret.

Comme en atteste l’attendu de principe de la Cour, Monsieur Murat de Chasseloup-Laubat « soulève vainement l’irrecevabilité de l’action en revendication pour non-respect par le ministre de la formalité de la mise en demeure, dès lors que cette exigence est prescrite par un texte qui n’est entré en vigueur que le 19 septembre 2009 ; (…) L’action en revendication avait bien été engagée avant l’entrée en vigueur de ce texte, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ».

La question pourrait donc se poser différemment après l’entrée en vigueur du décret.

En tout état de cause, la présente décision marque donc la fin d’une saga judiciaire qui aura sollicité des juridictions administratives et judiciaires. Les archives du général de Chasseloup-Laubat sont donc des archives publiques qui appartiennent, de ce fait, à l’État.

Par Alice Cédolin
Stagiaire du cabinet entre juillet 2018.

Dans le cadre de son activité dédiée au droit du marché de l'art, le Cabinet assiste régulièrement des détenteurs d'archives et des intermédiaires face aux procédures de revendication ou dans la détermination de la qualité d'archives publiques ou privées. Avocats en droit de l’art et en droit du marché de l’art, nous intervenons également en matière de droit des contrats, de droit de la responsabilité, de droit de la vente aux enchères publiques pour l’ensemble de nos clients, aussi bien à Paris que sur l’ensemble du territoire français et en Belgique (Bruxelles).

[1] CA Paris, 24 nov. 2015, RG no 14/09606.

[2] Cass. civ. 1re, 22 janv. 2014.

[3] CE, 13 avril 2018, « Association du Musée des Lettres et Manuscrits et autres », no 410939.

[4] D. Péano, « L’État ne peut pas demander au juge de reconnaître la qualité d’archives publiques », AJDA, 2009, p. 2176.

[5] CE, 9 nov. 2011, « Ministre de la défense c. Murat de Chasseloup-Laubat, no 331500.

[6] T. confl., 9 juillet 2012, Ministre de la défense c/ Murat de Chasseloup-Laubat, no C3857.

[7] CE, 3 oct. 2012, « Chasseloup-Laubat c. Ministre de la défense », no 331500.