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L’affaire Klasen et les limites juridiques de l’appropriationnisme

Depuis 2012, l’affaire opposant Peter Klasen au photographe Alix Malka – le second reprochant au premier d’avoir utilisé certaines de ses créations pour les insérer dans ses œuvres picturales sans son consentement – ne cesse d’interroger les marges juridiques de l’appropriation artistique. À la liberté de création de l’artiste appropriationniste se confronte le respect du droit d’auteur dont est investi le créateur de l’œuvre reprise. Ces deux droits sont caractérisés de fondamentaux et bénéficient d’une égale protection accordée par le système juridique français. Le fameux arrêt de la Cour de cassation du 15 mai 2015 rendu dans la présente affaire avait, pour la première fois à ce degré de juridiction, imposé aux juridictions d’expliquer concrètement pourquoi l’un de ces deux droits devait primer sur l’autre, lorsqu’une telle demande est formulée par l’une des parties au procès. Une telle solution s’avère aujourd’hui mobilisée par certains artistes attraits en justice pour contrefaçon, à l’instar du procès ayant opposé Jeff Koons et les ayants-droit de Jean-François Bauret.

Si l’arrêt de la Cour de cassation n’avait pas tranché le fond du litige – lequel des deux droits en présence devait l’emporter sur l’autre – la cour d’appel de Versailles saisie sur renvoi après cassation vient d’apporter une réponse définitive dans le conflit opposant l’artiste d’origine allemande au photographe déployant ses talents essentiellement dans le domaine de la mode. L’arrêt du 16 mars 2018 condamne ainsi Peter Klasen au titre de la contrefaçon à une somme de 50.000 euros réparant tant l’atteinte au droit moral du photographe que celle portée à ses droits patrimoniaux.

Parmi les nombreux arguments soulevés par le plasticien, seul celui fondé sur la liberté d’expression, comme dérogation potentielle au droit d’auteur, est ici envisagé. Dans sa solution particulièrement détaillée, la cour rappelle que Peter Klasen opposait au photographe « sa liberté d’expression qui selon lui doit prévaloir sur les intérêts strictement mercantiles du photographe », réflexion néanmoins inopérante car le code de la propriété intellectuelle « protège aussi le droit moral de l’auteur » et non pas ses seuls droits patrimoniaux. Comment opérer alors concrètement la balance des intérêts entre la liberté d’expression et le droit d’auteur ? Le juge ne peut y procéder de sa propre initiative, car selon l’arrêt il ne lui appartient pas « de s’ériger en arbitre d’un droit qui mériterait plus protection qu’un autre ». À ce rappel bienvenu, succède un second rappel tout aussi important : il appartient à celui qui invoque sa liberté d’expression, d’établir en quoi un juste équilibre entre la protection de celle-ci et celle due au droit du photographe imposait qu’il utilisât les œuvres de ce dernier au surcroît sans son autorisation.

Et c’est cette démonstration à laquelle échoue Peter Klasen. En effet, de son propre aveu, les œuvres préexistantes et utilisées sans le consentement de leur auteur étaient « parfaitement substituables », le plasticien affirmant qu’il « aurait pu tout aussi bien utiliser d’autres photographies publicitaires du même genre ». Dès lors, la cours retient que  « l’utilisation des œuvres de M. Alix Malka, au surcroît sans son autorisation, n’était pas nécessaire à l’exercice de la liberté que M. Peter Klasen revendique » et « que solliciter l’autorisation préalable de l’auteur ne saurait donc constituer une atteinte à son droit de créer ». L’arrêt reprend ici la solution dégagée dans l’affaire Jeff Koons, le tribunal ayant à cette époque retenu que « à défaut de justifier de la nécessité de recourir à cette représentation d’un couple d’enfants pour son discours artistique sans autorisation de l’auteur, la mise en œuvre du droit d’auteur ne constitue pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression ». Une certaine stabilisation du critère de la nécessité de justifier l’emprunt réalisé est ainsi à l’œuvre dans la jurisprudence la plus récente.

Quant à l’argument d’une appartenance de Klasen au courant appropriationniste et de l’existence de pratiques artistiques similaires plus anciennes, celui-ci est balayé au terme d’un rappel assez heureux. L’artiste tentait de mobiliser à sa rescousse la « Campbell soup » de Warhol, ainsi que la reprise par Picasso notamment du « Déjeuner sur l’herbe ». Ici, la cour ne se trompe nullement en affirmant que la « Campbell soup » était un produit de consommation courante dont rien ne permettait de penser que le graphisme original était de Andy Warhol. Quant à l’œuvre de Picasso, « l’œuvre première était parfaitement identifiable de sorte que « l’appropriation » de celle-ci ne faisait aucun doute ». Au contraire, tel n’était pas le cas des photographies d’Alix Malka dont la notoriété ne permettait pas de les identifier en tant que telles dans l’œuvre seconde Peter Klasen. Une nouvelle fois, la jurisprudence semble donc réserver le bénéfice de la liberté d’expression qu’aux artistes reprenant les œuvres de leurs prédécesseurs les plus illustres ou, à tout le moins, les plus connus. L’identification immédiate de l’appropriation réalisée semble donc constituer un des premiers critères pour que la liberté d’expression l’emporte sur le droit d’auteur. Ce faisant, une telle exception se rapproche ostensiblement de l’exception dite de parodie, impliquant notamment que l’œuvre nouvelle suscite une réminiscence dans l’esprit du public.

Un article écrit par Alexis Fournol, Avocat à la Cour.

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