Défaut de qualité à agir en nullité du mandataire d'une société-écran
La nullité de la vente pour défaut d’authenticité constitue l’un des principaux contentieux en droit du marché de l’art. Attirés par des investissements lucratifs dotés une fiscalité avantageuse, certains nouveaux collectionneurs utilisent le mécanisme des sociétés-écrans, souvent basées dans des paradis fiscaux, afin d’acquérir l’œuvre désirée[1]. Dès lors, la qualité à agir en nullité pour défaut d’authenticité appartient nécessairement à la société propriétaire et non au mandataire l’ayant représentée lors de la vente aux enchères publiques. La décision de la cour d’appel de Paris du 2 mars 2017[2] rappelle, en ce sens, les conditions de la qualité à agir en nullité et les éléments de fait à prendre en considération pour déterminer la qualité de propriétaire du bien litigieux.
Un tableau attribué à Alexandra Exter (1882 – 1949) fut adjugé 62 000 euros au terme d’une vacation du 14 juin 2007. Trois ans après l’adjudication, l’enchérisseur assignait l’opérateur de ventes volontaires afin d’obtenir la nullité de la vente. L’expert désigné par le tribunal conclut alors au défaut d’authenticité du tableau, qualifié par ses soins de « faux grossier ». Venant au droit de son mari décédé en cours d’instance, l’épouse de l’enchérisseur obtint l’annulation de la vente devant le Tribunal de grande instance de Paris le 26 mai 2015. La qualité à agir de l’épouse fut néanmoins contestée en appel au regard des articles 122 et 32 du Code de procédure civile.
Selon les défendeurs, le véritable propriétaire s’avérait être une société ayant son siège social au Panama. Deux éléments soutenaient cette prétention : le bordereau d’adjudication et la provenance du virement réglant l’achat. D’une part, le bordereau de vente, établi conformément à l’article L. 321-9 du Code de commerce, mentionnait le nom de l’adjudicataire. Mais sur la carte de visite qui avait été jointe au document, la mention « Pour le compte de … » avait été ajoutée de façon manuscrite. Par ailleurs, le numéro de client du bordereau avait été biffé et remplacé par un autre. D’autre part, le lot et les frais de vente avaient été réglés par un virement provenant d’une banque suisse dont le titulaire du compte était une société ayant son siège social au Panama. Dès lors, l’enchérisseur final n’était que le mandataire de la société, véritable adjudicataire. Il n’était donc que le détenteur précaire de l’objet et n’avait pas qualité à agir en nullité.
Afin de prouver sa propriété, l’intimée énonçait que la société de droit panaméen avait été dissoute en 2012 et que l’acquisition, suspectée d’être une opération de blanchiment de fraude fiscale par la partie adversaire, avait fait l’objet d’une régularisation avec l’administration fiscale. Par ailleurs, elle invoquait l’article 1236 ancien du Code civil prévoyant que toute personne peut procéder au paiement d’une obligation même s’il elle n’y est pas intéressée.
La cour d’appel de Paris infirme la décision du TGI en retenant que le requérant ne rapportait pas la preuve de l’acquisition du tableau. En effet, nonobstant la qualité d’associée de la société panaméenne des époux, ces derniers ne sont que les détenteurs précaires du tableau. La cour précise que l’article 2257 du Code civil empêche toute prescription acquisitive de propriété du bien meuble, du fait de la détention précaire. Dès lors, la cour d’appel énonce que l’épouse « ne venant pas aux droits de l’acheteur, [elle] n’a pas la qualité à agir en nullité de la vente sur adjudication ». Ses demandes en annulation et en indemnisation sont donc rejetées.
Par Simon Rolin
Stagiaire du cabinet entre janvier et avril 2017
[1] Sur la question des sociétés-écrans et du marché de l’art, V. A. Fournol, « Marché de l’art et sociétés-écrans », Le Journal des Arts, no 457, 13 mai 2016.
[2] CA Paris, pôle 2, ch. 2, 2 mars 2017, RG no 15/15732.