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Contrefaçon américaine du "Zervos" et exequatur

Plus de vingt ans après les premières poursuites engagées, l’affaire opposant Yves Sicre de Fontbrune à Alan Wofsy semble enfin en voie de s'achever.

Durant presque 40 ans, Christian Zervos, fondateur de la revue et de la maison d’édition « Cahiers d’Art », s’est appliqué à recenser et photographier l’œuvre de Picasso. Près de 16 000 photographies d’œuvres de l’artiste sont aujourd’hui présentées dans ce qui est devenu « Le Zervos », soit le plus important catalogue raisonné de l’œuvre de Pablo Picasso. Succédant à Christian Zervos, Yves Sicre de Fontbrune acquiert le fonds de commerce de la maison d’édition le 31 mai 1979 ainsi que, cela va de soit, tous les droits attachés au fonds de commerce, dont les droits d’auteur afférents aux différentes publications.

À la fin des années 1990, un éditeur américain, Alan Wofsy, scanne, avec l’autorisation de la SPADEM (société de gestion collective des droits d’auteur) et de la succession Picasso selon ses dires, les images du catalogue raisonné afin de les intégrer à deux de ses propres livres consacrés à l’artiste. À l'occasion du Salon du livre de la porte de Versailles de 1996, Yves Sicre de Fontbrune prend connaissance de l’existence de tels ouvrages.

C’est après avoir opéré une saisie contrefaçon directement sur le stand du Salon que Monsieur de Fontbrune a assigné le 26 avril 1996 Alan Wofsy en contrefaçon et en concurrence déloyale devant le tribunal de grande instance de Paris. Il demandait en dédommagement de son préjudice des mesures d’interdiction, de destruction et de publication des deux ouvrages conservés et des dommages et intérêts à hauteur de 1 million de francs.

Monsieur de Fontbrune fut débouté de sa demande par les juges du fond, ces derniers ayant considéré que « ni les photographies ni le catalogue par elle opposés ne constituaient des œuvres protégeables, et a rejeté l’action en concurrence déloyale, faute d’éléments distincts de ceux de la contrefaçon »[1]. En effet, le tribunal d’instance a préféré voir en ce catalogue une succession non originale de photographies, elles-mêmes dépourvues d'originalité, puisque leur but était simplement de s’effacer le plus possible au profit de l’œuvre du peintre afin de rendre compte au mieux de l’œuvre présentée.

Si cette position est défendable ce n’est pas celle qu’a choisi la Cour d’appel de Paris. Cette dernière, aux termes d'un arrêt du 26 septembre 2001, revient sur cette décision et reconnaît bel et bien la contrefaçon.

En premier lieu, la cour rappelle qu’un catalogue raisonné peut être considéré comme une œuvre de l’esprit protégeable par le droit d’auteur. Ainsi, selon la cour : « Considérant que si la composition d'un catalogue raisonné de l'œuvre d'un peintre peut faire, en soi, l'objet d'une protection par le droit d'auteur à raison des choix personnels de son créateur »[2].

Cette affirmation sous-entend donc que la cour d’appel reconnaît que le catalogue raisonné de Zervos est bien original, au sens du droit d'auteur. Toutefois, malgré la reconnaissance de l'originalité de l'ouvrage, les juges retiennent que la composition du catalogue raisonné n’est nullement reprise au sein des deux ouvrages litigieux.

C’est donc en se basant sur un second élément que les juges accueillent la demande de Fontbrune et reconnaissent la contrefaçon. En effet, la cour d’appel retient, certes succinctement, l’originalité des photographies présentées dans le Zervos. Leur originalité tient notamment à l’éclairage, au filtre, au cadrage ou encore à l’angle de vue choisis par le photographe. Ces photographies sont donc protégées par le droit d’auteur et s'avèrent contrefaites dans les ouvrages de Monsieur Wofsy. La cour énonce ainsi que « les photographies en cause étant de ce fait originales et bénéficiant de la protection du droit d'auteur, la reproduction qui en a été faite sans autorisation constitue bien une contrefaçon »[3]. En conséquence, Alan Wofsy s'avère condamné à des mesures d’interdiction, de destruction et de publication des deux ouvrages, outre 800 000 francs de dommages-intérêts en compensation du préjudice subi et une astreinte de 10 000 francs par nouvel usage des photographies concernées.

Constatant de nouvelles infractions entre 2001 et 2012, Yves Sicre de Fontbrune retourne devant les juges du tribunal de grande instance de Paris afin de demander la liquidation de l’astreinte, soit 11 ans d’astreinte au vu des nombreuses. Le montant de l'astreinte à liquider s’élevait ainsi à 2 millions de francs selon Fontbrune. Les juges du fond reconnaissent le non-respect de la décision de 2001 et condamnent alors Wofsy au paiement des 2 millions de francs demandés.

Une nouvelle fois, ce jugement ne trouve aucune exécution volontaire de la part de Wofsy qui contraint Monsieur de Fontbrune à saisir la Cour de Californie afin que celle-ci reconnaisse la décision française liquidant l’astreinte et contraigne alors l’éditeur au paiement des sommes dues.

Si Monsieur de Fontbrune est en premier lieu débouté de sa demande, c’est en deuxième instance que la Cour d’Appel de San Francisco va finalement lui donner raison. Après de long de débat sur le fait de savoir si l’astreinte, concept du droit français pouvait être reconnu en droit américain, les juges ont finalement décidé de reconnaître l’existence de cette astreinte. Alan Wofsy sera donc contraint, aux Etats-Unis également, de payer la somme imposée par le juge français.

Alors que le litige ne portait, en France, presque que sur des questions de propriété intellectuelle, ces questions ne se sont absolument pas posées devant les juges américains qui n’en font aucunement mention. Ne remettant pas en cause la décision des juges français, mais ne se prononçant pas non plus sur la possibilité pour un catalogue raisonné d’être protégeable par le droit d’auteur, cette solution n’est finalement qu’une solution d’exequatur. Si les mêmes questions demeurent quant au sort des catalogues raisonnés gouvernés par le copyright, cette solution du 26 septembre 2016 de la Cour d’Appel du Neuvième District a au moins pour bienfait de rappeler qu’une mesure d’astreinte prononcée en France peut, sous certaines conditions être reconnue aux Etats-Unis et mettre fin à des années de lutte de la part du propriétaire des éditions « Cahiers d’Art » puis de ses héritiers.

Par Justine Echinard
Stagiaire au cabinet d'octobre à décembre 2016

[1] CA Paris, 4ème ch., sect. A, 26 sept. 2001, RG nos : 1999/05665, 1999/08920.
[2] Ibid.
[3] Ibid.