De la portée des termes d’un protocole transactionnel en matière de contrefaçon
Article publié le 9 octobre 2023
Un illustrateur et graphiste avait travaillé, de 2000 à 2016 et au sein d’une société dont il était l’unique actionnaire, au bénéfice d’un groupe pharmaceutique de premier plan afin de créer différents visuels pour les marques et les produits du groupe. Mais, en 2016, l’illustrateur avait adressé au groupe pharmaceutique un courrier de mise en demeure lui reprochant d’avoir exploité ses visuels en violation de ses droits d’auteur et d’avoir rompu brutalement ses relations avec sa société. Ces revendications donnèrent lieu à l’établissement d’un protocole transactionnel permettant de mettre fin au litige entre les parties, d’éviter un procès et de conserver une certaine confidentialité sur l’opposition passée.
Transiger c’est renoncer au procès qui avait aurait pu être intenté par l’une ou l’autre des parties ou, à tout le moins, envisagé. L’objet d’une transaction vise ainsi l’abandon définitif d’une action en justice. Encore faut-il que la renonciation de l’une ou de l’ensemble des parties concernées puisse être valable, c’est-à-dire notamment qu’elle ne viole pas une disposition d’ordre public ou encore qu’elle concerne uniquement un droit acquis, c’est-à-dire né.
Or, selon l’illustrateur la société aurait violé les termes du protocole transactionnel conclu avec le groupe pharmaceutique qui aurait continué à utiliser sans autorisation les visuels qui avaient pourtant donné lieu à la transaction préalable. C’est pourquoi, le Tribunal judiciaire de Nanterre fut saisi avant que la Cour d’appel de Versailles[1] ne se prononce à son tour sur la validité de la transaction et l’existence de possibles actes de contrefaçon commis par le groupe pharmaceutique.
Sur le protocole signé entre les parties
En première instance, le Tribunal judiciaire avait estimé que si le protocole signé en 2017 est parfaitement régulier, il ne contient aucune cession de droits d’auteur et met fin uniquement aux différends déjà nés à la date de sa conclusion à l’exclusion de tout litige portant sur des créations futures ou des litiges non encore nés. Il estimait également que seul l’examen des actes contrefaisant allégués permettra de vérifier leur inclusion dans ledit protocole et de vérifier leur recevabilité sans qu’il y ait lieu de déclarer a priori irrecevables les prétentions de l’illustrateur.
Pour le groupe pharmaceutique, le protocole transactionnel de 2017 avait tous litiges entre les parties relatifs aux visuels et illustrations et le tribunal, dès lors qu’il avait rejeté la demande de nullité du protocole, n’aurait pas tiré toutes les conséquences de sa décision en déclarant malgré tout recevables les demandes de l’illustrateur.
La Cour de Versailles rejette, le 12 septembre 2023, la demande de nullité du protocole transactionnel mais conforte, une nouvelle fois, la possibilité pour l’illustrateur de rechercher la possible mise en cause du groupe pharmaceutique en raison de l’utilisation non autorisée, et donc potentiellement contrefaisante, des visuels qu’il avait créés.
Un protocole au champ nécessairement restreint
L’objet du protocole régularisé le 1er juillet 2017 entre les deux parties avait pour champ le fait « de régler de manière définitive les différends qui existent ou pourraient exister entre [les deux parties] concernant l’utilisation par [le groupe pharmaceutique] des visuels réalisés par [l’illustrateur] au sein de [sa société] et la fin des relations commerciales entre les parties ». Aux termes de l’article 2.1 du même protocole, le groupe pharmaceutique acceptait de verser au requérant une somme transactionnelle afin de couvrir la régularisation de l’utilisation passée par le groupe pharmaceutique de « quatre visuels, l’utilisation sur tout support des visuels et plus généralement, la réparation de tous chefs de préjudices invoqués, sans toutefois que cela ne vaille reconnaissance du bien-fondé de ces griefs ». En contrepartie, et aux termes de l’article 2.2 du protocole transactionnel, le requérant se reconnaissait « intégralement rempli de ses droits et renonce à engager toute action, recours et/ou réclamation de quelque nature que ce soit à l’encontre [du groupe pharmaceutique] au titre : - de toute utilisation quelle qu’elle soit des visuels pour les actes d'exploitation passés au jour de la signature des présentes, ainsi que pour les exploitations visées au paragraphe 2.1, - du grief de rupture brutale des relations commerciales entre les parties ». Enfin, le protocole transactionnel précisait que le requérant assurait « n’avoir plus aucun grief de quelque nature que ce soit ni aucune revendication au titre des créations réalisées par ses soins […] et visés au préambule du présent protocole ». De tels engagements réciproques constituent, selon les termes de l’article 2044 du Code civil, des concessions réciproques, qui permettent de terminer une contestation née et corrélativement de pouvoir procéder pleinement à une transaction. Quant aux formulations elles-mêmes, celles-ci semblaient dénuées de toute interprétation contraire possible.
Néanmoins, le groupe pharmaceutique tentait de soutenir, devant la Cour d’appel de Versailles, que le protocole avait pu éteindre tous litiges potentiels entre les parties prenantes, c’est-à-dire aussi bien les litiges éventuels ayant donné lieu à l’établissement de la transaction et ceux à venir au titre de toute exploitation future des visuels en litige. Afin d’appuyer pareil raisonnement, la société tentait de soutenir que les exploitations visées au paragraphe 2.1 de l’accord aurait permis l’extinction de toute réclamation de la part de l’illustrateur.
Or, le protocole visait uniquement « toute utilisation quelle qu’elle soit des visuels pour les actes d’exploitation passés au jour de la signature des présentes, ainsi que pour les exploitations visés au paragraphe 2.1 ». Et selon la Cour, les nouveaux actes de contrefaçon allégués par l’illustrateur portaient bien sur l'utilisation des visuels postérieurement à l’établissement de ce protocole. C’est pourquoi, la Cour d’appel confirme le jugement de première instance qui avait retenu que le protocole, en se référant de manière détaillée au litige déjà né, était destiné à éteindre ce seul litige, sans ambiguïté et sans pouvoir viser des créations futures ou des litiges non encore nés.
L’impossibilité de pouvoir transiger sur des litiges non encore nés
Un principe fondamental en matière transactionnelle veut que toute transaction ne peut porter que sur un droit acquis. Ce principe permet de distinguer ainsi entre les transactions portant sur des droits acquis, dont la validité ne devrait pas être contestée par principe, des transactions relatives à des droits non acquis, c’est-à-dire potentiel, éventuel, que l’ordre public a vocation à condamner. En effet, « la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître » selon l’article 2044 du Code civil. Par ailleurs, l’article 2052 du Code civil rappelle que la transaction est dotée la dote de l’autorité de la chose jugée en dernier ressort. L’objectif de la transaction est donc limpide : il s’agit d’un mode alternatif de règlement des litiges. En ce sens, la transaction s’impose comme l’équivalent du jugement auquel elle emprunte sa force.
Dès lors, et en matière de droit d’auteur comme en l’espèce, seuls les faits qui ont pu être visés au sein du protocole ont vocation à constituer le socle de la transaction. A moins que celle-ci ne comporte une cession de droits au bénéfice du contrefacteur qui a en outre accepté des concessions au bénéfice de l’auteur ou de ses ayants droit, aucune nouvelle exploitation de l’œuvre ou des œuvres qui avaient fait l’objet du protocole ne peut avoir lieu. En cas contraire, cette nouvelle exploitation sera hors champ du protocole et constituera corrélativement un acte de contrefaçon pouvant faire l’objet d’une nouvelle procédure judiciaire ou… d’un nouveau protocole transactionnel.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au domaine de l’édition, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs, notamment des illustrateurs, des écrivains et des auteurs jeunesse, dans la défense de leurs intérêts tant au stade de la négociation et de la conclusion des contrats d’édition qu’à celui de la préservation de leurs droits en justice. Le Cabinet accompagne également des éditeurs indépendants dans la contractualisation de leurs relations avec les auteurs et leurs différents partenaires. Avocats en droit de l’édition à Paris et sur l’ensemble du territoire français, nous intervenons également en Belgique (Bruxelles).
[1] CA Versailles, 1re ch., 1re sect., 12 sept. 2023, RG n° 21/05036.