Avocat pour artistes et acteurs du marché de l'art

Actualités

Actualités sur le droit de l’art et de l’édition

Clip de campagne : condamnation d’Eric Zemmour pour contrefaçon

Fin de de premier round pour le clip de campagne d’Eric Zemmour. Assigné en justice pour contrefaçon par deux sociétés de production audiovisuelle et des auteurs de films, le candidat à l’élection présidentielle a été condamné, avec l’association Reconquête ! et le propriétaire du nom de domaine du site Internet des « amis » du candidat, à réparer les préjudices résultant de l’insertion non autorisée d’extraits de ces films au sein de son clip de campagne.

Comme nous avions pu l’évoquer précédemment, la publication sur la plateforme Youtube du clip vidéo annonçant la candidature d’Éric Zemmour a donné lieu à de multiples annonces d’action en justice par les personnes dont les images, susceptibles d’être protégées au titre du droit d’auteur ou du droit à l’image, avaient été insérées sans leur autorisation[1]. Si certaines se sont désistées, tel n’était pas le cas d’ayants droit d’œuvres audiovisuelles qui viennent d’obtenir la condamnation d’Éric Zemmour, de son parti politique et de la personne réservataire d’un nom de domaine ayant également diffusé la vidéo à verser la somme totale de 70.000 euros pour contrefaçon de droits d’auteur. Figuraient parmi les demandeurs, deux sociétés de production, titulaires des droits d’exploitation, et des auteurs, réalisateurs ou scénaristes, au titre de l’atteinte à leur droit moral. Ces derniers étaient assistés de la Sacd, société de gestion des droits d’auteurs, ayant pour mission de défendre les droits et intérêts des auteurs qu’elle représente.

Le clip de campagne reproduisait sans autorisation des extraits de cinq films parmi lesquels Jeanne d’arc de Luc Besson ou Le quai des brumes de Maurice Carné. Il avait été diffusé initialement sur la chaîne Youtube du candidat, mais était également disponible sur la plateforme Dailymotion, le réseau social Facebook et deux sites Internet. Dans un premier temps, le tribunal rejetait les fins de non-recevoir soulevées par les défendeurs, Eric Zemmour ne contestant pas être le créateur et l’administrateur de la page Facebook et de sa chaîne YouTube et l’association Reconquête !, en qualité d’éditrice du site, ayant diffusé le clip par l’intermédiaire d’un lien hypertexte puis d’une fenêtre « pop-up ». Aucun débat sur l’originalité des œuvres insérées au sein de la vidéo de candidature n’était soulevé par les défendeurs, ces œuvres étaient ainsi présumées bénéficier de la protection au titre du droit d’auteur. La seule défense opposée par le politique souverainiste et ses soutiens reposait sur l’exception de courte citation et la liberté d’expression protégée par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

La délicate application de l’exception de courte citation
Issue de la transposition de la directive (CE) 2001/29 de l’Union européenne, l’exception de courte citation figure au sein du Code de la propriété intellectuelle sous l’article L. 122-5 alinéa 3° a). Cet article conditionne le bénéfice de cette exception par le défendeur à la démonstration de trois conditions cumulatives : une divulgation préalable de l’œuvre citée, l’indication du nom de l’auteur et de la source et le caractère critique, polémique, pédagogique ou d’information de l’œuvre nouvelle à laquelle la citation est incorporée.

Le premier point ne faisait nullement débat. Concernant la deuxième condition, les défendeurs soutenaient que les noms des auteurs figuraient sur les plateformes en dessous de leur vidéo. Pour autant, seul figurait le titre du film et le nom du titulaire de la chaîne Youtube. La deuxième condition, fondée sur le droit au respect de son nom, prérogative du droit moral de l’auteur, faisait donc défaut. Le tribunal relève enfin que les défendeurs échouaient à démontrer que le clip de campagne entretenait un dialogue avec les œuvres citées ni qu’il poursuivait un but informationnel sur ces œuvres. Les œuvres citées n’étant que de « simples illustrations en guise de fond visuel du discours prononcé », la troisième condition de l’exception de courte citation faisait également défaut. La vidéo ne respectait donc pas les dispositions européennes et nationales, dont l’interprétation est précisée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne.

La démonstration aurait pu s’arrêter là, mais le tribunal était également saisi d’un second débat porté par les défendeurs et fondé sur l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen protégeant la liberté d’expression. Selon eux, « la position des auteurs ne fait que traduire une volonté d’interdire toute liberté d’expression en matière politique ». Ils invitaient ainsi les magistrats à effectuer un contrôle dit de proportionnalité entre le droit à la liberté d’expression du politique, d’une part, et les droits de propriété intellectuelle des auteurs, d’autre part.

La décision rendue par le tribunal judiciaire opère une application de la récente jurisprudence dégagée par la Cour de justice de l’Union européenne le 29 juillet 2019 dans l’affaire Spiegel Online c/ Volker Beck[2]. Le même jour, trois décisions avait été rendues par la Cour de justice de l’Union européenne affirmant explicitement que la liste des exceptions, dont celle de courte citation, et des limitations au droit d’auteur prévues par la directive de l’Union européenne était exhaustive et ne pouvait, en conséquence, donner lieu à la création par une législation nationale ou par la jurisprudence de nouvelles exceptions[3]. Une telle décision devait ainsi mettre un terme à la mise en balance entre le droit d’auteur et la liberté d’expression dégagée, en France, par l’arrêt dit Klasen de la Cour de cassation[4].

Un contrôle de proportionnalité opéré au sein de l’exception de parodie
Or, dans l’arrêt Spiegel Online c/ Volker Beck, les juges européens ne mettaient pas fin au contrôle de proportionnalité et admettaient, au terme d’un raisonnement byzantin, qu’il était possible d’opérer un tel contrôle dans le cadre de l’appréciation de l’exception de parodie. Dans un premier temps, pour refuser un contrôle de proportionnalité externe, la Cour de justice de l’Union européenne rappelait que les exceptions, dont l’exception de courte citation, visaient à concilier les droits des auteurs avec l’exercice de la liberté d’expression, et notamment la liberté de la presse[5]. Le contrôle de proportionnalité était donc inhérent à l’exception de courte citation, laquelle organisait les modalités de son contrôle.

Mais, dans un second temps, la Cour de justice de l’Union européenne, après avoir rappelé que les conditions de l’exception de courte citation devaient « faire l’objet d’une interprétation stricte »[6], affirmait que cette interprétation devait prendre en compte les droits et libertés fondamentaux et, notamment, la mise en balance entre le droit d’auteur et le droit à la liberté d’expression rappelé par la Cour européenne des droits de l’homme[7]. Un tel raisonnement, critiqué par une partie de la doctrine[8], instaurait ainsi un contrôle de proportionnalité non pas externe et « correcteur » du droit d’auteur à l’instar de l’arrêt Klasen, mais interne et « élaborateur » du droit d’auteur[9]. En résumé, les droits et libertés fondamentaux ne venaient pas restreindre les droits d’auteur, mais étendre le champ de chacune des exceptions prévues par les normes européennes.

À la lumière de cette nouvelle grille d’analyse, le tribunal judiciaire de Paris, après avoir appliqué les conditions classiques de l’exception de courte citation, contrôle la proportionnalité de l’atteinte à la liberté d’expression politique d’Éric Zemmour au regard du droit d’auteur. Le contrôle de proportionnalité requiert de démontrer que l’atteinte au droit d’auteur est nécessaire à la liberté mise en balance. Or, les défendeurs ne démontraient nullement pourquoi  les extraits de films avaient été nécessaires pour soutenir le discours politique du candidat, le tribunal relevant que ce dernier aurait pu utiliser « des extraits ou images libres de droits » pour illustrer son propos », et que « la suppression des extraits litigieux n’entrainerait aucune modification du propos d’Éric Zemmour (…) celui-ci s’appu[yant] sur les extraits de films qui ne sont ni commentés ni étudiés, mais utilisés comme de simples illustrations. » L’atteinte n’étant nullement nécessaire à sa liberté d’expression, l’insertion et la diffusion des extraits au sein du clip de campagne constituaient donc des actes de contrefaçon.

L’atteinte au droit moral des auteurs
Les réalisateurs et scénaristes, investis des prérogatives du droit moral prévu par l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle, alléguaient d’une atteinte à leur droit de paternité et au respect de leur œuvre. Sur le premier point, le clip de campagne ne mentionnant nullement le nom des auteurs au sein du générique ou sur la page, l’atteinte était nécessairement constituée. Sur le second point, les auteurs soutenaient que le clip de campagne portait atteinte à l’intégrité physique et spirituelle de leur œuvre. En effet, la jurisprudence admet de longue date que le respect de l’œuvre est violé si elle est altérée matériellement, c’est-à-dire tronquée, modifiée, recadrée, mais également lorsque l’œuvre est utilisée dans un autre contexte que celui souhaité par l’auteur, travestissant ainsi l’esprit de celle-ci. Une telle atteinte a notamment été soutenue par les héritiers de Hergé qui ont obtenu la condamnation d’une maison de ventes aux enchères pour la reproduction au sein d’un catalogue d’une planche d’un album du reporter à côté de six vignettes tirées de bandes dessinées érotiques[10].

En l’espèce, les auteurs échouent à montrer que la découpe des extraits, leur assemblage et le mélange avec d’autres images constituaient une atteinte « intrinsèque » à leurs droits. Mais, le tribunal judiciaire fait droit à leur demande en ce que l’utilisation des extraits « pour accompagner le discours de candidature d’un homme politique (…) constitue une dénaturation de leur finalité première, qui est de distraire ou d’informer, les œuvres audiovisuelles [ayant] été utilisées, sans autorisation, à des fins politiques » emportant réparation de leur préjudice à hauteur de 5.000 euros par auteur. Si elle est louable pour les auteurs et certainement contrainte par le nombre d’œuvres en cause, une telle analyse de l’atteinte à l’intégrité spirituelle de l’œuvre n’emporte pas la conviction.

En effet, le tribunal semble réduire les œuvres audiovisuelles à leur destination supposée, celle de distraire ou d’informer, oubliant que ces œuvres peuvent également porter un message politique, lequel aurait pu être compatible avec le discours de l’homme politique. C’était notamment le raisonnement retenu par le tribunal judiciaire de Paris, dans une décision opposant un grapheur dont l’œuvre figurait au sein d’un clip de Jean-Luc Mélenchon. L’artiste n’avait pas réussi à démontrer pourquoi le discours et les prises de position du politique étaient « contraires aux valeurs d’égalité et d’ouverture portées par [son] œuvre »[11]. En effet, comme le rappelle un auteur, pour apprécier l’atteinte à l’esprit de l’œuvre il faut prendre en considération « toutes les circonstances ayant entouré sa diffusion ou l’utilisation » [12]. Réduire l’atteinte contextuelle à l’opposition entre la destination de l’œuvre citée et de l’œuvre citante ne peut donc suffire et s’oppose au principe cardinal du droit d’auteur de ne pas prendre en compte « la forme d’expression, le mérite ou la destination »[13].

Nous ne pouvons que faire le parallèle avec une récente décision de la Cour d’appel de Paris, qui a refusé une telle atteinte pour l’utilisation de la chanson intitulée « Partenaire particulier » au sein d’un film « vulgaire » et « critiqué », les auteurs ayant préalablement « consenti à une dévalorisation de leur oeuvre en autorisant son utilisation dans un spot publicitaire sur un médicament contre les maux de tête, donnant à entendre, dans des conditions de nature à provoquer immédiatement un mal de tête, l’air de la chanson Partenaire particulier sorti d’une flûte stridente et jouant faux sur toute la durée du spot. »[14]. L’analyse de l’atteinte à l’intégrité spirituelle nous apparaît ici plus convaincante. Reste désormais à savoir si Eric Zemmour et ses soutiens interjetteront, eux, appel de la décision.


 Un article écrit par Me Simon Rolin, Avocat à la Cour et Collaborateur du Cabinet. 

Dans le cadre de ses activités de Conseil, tant dans le domaine du droit de l’art que du droit de la propriété intellectuelle, le Cabinet Alexis Fournol accompagne régulièrement des artistes et des auteurs dans la défense de leur droits en raison d’une reprise non autorisée de leurs oeuvres.

[1] https://www.fournol-avocat.fr/actualite/2022/1/26/-atteinte-au-droit-dauteur-ou-au-droit-limage-laffaire-du-clip-de-campagne-dric-zemmour-

[2] CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-516/17, Spiegel Online.

[3] CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-516/17, Spiegel Online ; CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-476/17, Pelham, CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-469/17, Funke Medin NRW Gmbh.

[4] Cass. civ. 1re, 15 mai 2015, no 13-27391.

[5] CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-516/17, Spiegel Online : §45 « En ce qui concerne les exceptions et limitations prévues à l’article 5, paragraphe 3, sous c), second cas de figure, et sous d), de la directive 2001/29, sur lesquelles s’interroge la juridiction de renvoi, il convient de souligner qu’elles visent spécifiquement à privilégier l’exercice du droit à la liberté d’expression des utilisateurs d’objets protégés et à la liberté de la presse, lequel revêt une importance particulière lorsqu’il est protégé au titre des droits fondamentaux, par rapport à l’intérêt de l’auteur à pouvoir s’opposer à l’utilisation de son œuvre, tout en assurant à cet auteur le droit de voir, en principe, son nom indiqué (voir, en ce sens, arrêt du 1er décembre 2011, Painer, C‑145/10, EU:C:2011:798, point 135). »

[6] CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-516/17, Spiegel Online : §45

[7] CJUE, grande chambre, 29 juill. 2019, C-516/17, Spiegel Online : §58

[8] RTD Com. 2020 p. 83, chron. Pollaud-Dulian F.

[9] RTD Com. 2019 p. 927, chron. Treppoz E.

[10] CA, 4e ch., 14 mars 2007, RG no 06/03307.

[11] TJ, Paris, 3e ch., 1re sect. RG no 20/08482.

[12] Lucas  A., Lucas-Schloetter, A., « Droits des auteurs – Droit moral. Droit au respect », JCL Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1213, 1er nov. 2019, §24.

[13] Code de la propriété intellectuelle, Article L. 112-1 : « Les dispositions du présent code protègent les droits des auteurs sur toutes les œuvres de l’esprit, quels qu’en soient le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. »

[14] CA Paris, pôle 5, ch. 2, 11 mars 2022, RG no 20/09922.