BD : faut-il rémunérer les séances de dédicace en droit d’auteur ?
La question de la rémunération des auteurs de bande dessinée participant, notamment dans le cadre de festivals à l’entrée payante, à des séances de dédicace constitue une revendication ancienne dans le secteur. Souvent ranimée à la perspective du festival d’Angoulême et très régulièrement débattue, celle-ci vient de faire l’objet d’une annonce faite par la Ministre de la Culture quelques jours avant l’édition 2022 du festival d’Angoulême. Ainsi, le 11 mars 2022, la rue de Valois a annoncé l’adoption par de nombreux acteurs du secteur d’un protocole visant à rémunérer les auteurs, ce qui constitue assurément une avancée salutaire. Les modalités de rémunération des seuls auteurs de bande dessinée par le biais du droit d’auteur soulèvent néanmoins de nombreuses interrogations.
La mesure, qui concernera dans un premier temps dix festivals, s’inscrit dans la continuité de plusieurs rapports dont celui de Bruno Racine, et sa recommandation 17, et celui de Pierre Lungheretti. Le communiqué de presse du Ministère de la Culture rappelle ainsi la volonté de la rue de Valois de permettre « l’instauration d’une rémunération des auteurs de bande dessinée pour les actes de création réalisés dans le cadre de leur participation à des salons et festivals », soit en d’autres termes la rémunération des auteurs pour les dédicaces réalisées. Et une telle volonté se justifierait par « les conditions d’exercice de l’activité de dédicace dans le secteur de la bande dessinée, non rémunérée alors même qu’elle donne lieu à la création d’œuvres par lesquelles les albums acquièrent une valeur nouvelle ». Un rééquilibrage dans la chaîne de production de valeur est ainsi visé, puisqu’auparavant seul l’éditeur – invitant l’auteur et vendant ses albums sur le stand – et l’amateur – dont le préjugé veut qu’il n’attende qu’un retour vénal différé de la séance de dédicace – bénéficiaient de la création de l’auteur.
Louable, le protocole et ses conséquences au profit des seuls auteurs de bande dessinée emporteront une mise en œuvre byzantine, une rémunération forfaitisée, donc plafonnée dans les faits, et une interrogation sur la modalité de rémunération.
Une rémunération avant tout prise en charge par le CNL et la Sofia
Le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (SNAC) a dévoilé les contours du mécanisme, sur lequel le Ministère reste fort taiseux, en précisant que « La rémunération sera un forfait de 226 € (brut) en “droits d’auteurs”, par auteurice, par festival. Elle sera cofinancée par le CNL et La Sofia, à hauteur des deux tiers, et pour un tiers par la structure invitante (Festival ou éditeur). » Cette prise en charge par le Centre National du Livre et par la Sofia (organisme agréé par le ministère de la Culture pour la gestion collective du droit de prêt en bibliothèque) justifie le nombre de festivals aujourd’hui concernés, car financés par ces deux organismes. Les festivals concernés seront alors référencés sur une plateforme mutualisée mise en place par la Sofia, la plateforme permettant de renseigner après chaque festival la liste des auteurs invités ainsi que les maisons d’édition présentes avant qu’une notification ne soit adressée aux auteurs pour que ceux-ci renseignent toutes les informations utiles au paiement du montant dû.
L’exclusion de toute négociation contractuelle
Quant au montant lui-même, celui-ci équivaudra à une journée de “signature” conformément aux recommandations de la charte signée Ministre de la Culture, le Centre National du Livre (CNL), le Syndicat national de l’édition (SNE), le Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA), la Société française des intérêts des auteurs de l’écrit (SOFIA) et par les festivals de bande dessinées investis dès la première année. Dès lors, un auteur qui procéderait à des dédicaces sur deux stands d’éditeurs différents verrait sa rémunération prise en charge par les deux entités. Le recours au forfait exclut, corrélativement, toute possibilité de pouvoir négocier à la hausse la rémunération de l’auteur et impose ainsi, de manière sous-jacente, un barème maximal dont le montant ne semble guidé que par des compromis connus des seuls signataires.
Activité accessoire ou salariat ?
La rémunération sous forme de droits d’auteur était-elle pour autant la voie à choisir ? Le communiqué de la rue de Valois évoque expressément « la création d’œuvres » lors de séances de dédicace, bien que nombre d’auteurs réalisent souvent une adaptation faiblement dérivée d’un extrait de leurs œuvres, en reprenant régulièrement tel ou tel personnage emblématique de l’album concerné. Hergé aurait-il ainsi été rémunéré pour ses dédicaces des seuls visages de Tintin et de Milou ? La reproduction de biais du visage d’Alix aurait-il permis à Jacques Martin d’être considéré comme créateur d’une œuvre lors d’une séance de dédicace ? Au-delà de ces interrogations caricaturales, le recours à la « création d’œuvres » est bien délicat et ne semble pas correspondre à la majorité des hypothèses.
Ainsi, si une telle forme de rémunération est désormais possible depuis le décret du 28 août 2020 pour les dédicaces, elle ne semble pour autant pas si opportune. Le nouvel article R. 382-1-1 du Code de la sécurité sociale prévoit dorénavant, à titre d’activité et de revenu accessoires pour les artistes-auteurs, en son 6° que « La lecture publique de son œuvre, la présentation d’une ou plusieurs de ses œuvres, la présentation de son processus de création lors de rencontres publiques et débats ou une activité de dédicace assortie de la création d’une œuvre ». La nouvelle charte s’inscrit donc expressément dans cette évolution législative.
Pour autant, il nous semble que cette activité ressort davantage d’une mission relevant du droit du travail devant être rémunérée en salaire, ouvrant d’autres droits au bénéfice de l’auteur, ainsi qu’un cumul de statuts qui pourrait s’avérer intéressant. A défaut de retenir l’existence d’un contrat de travail (malgré les directives éventuelles de l’instance invitante et les horaires imposés), la réalisation d’une prestation de service semblerait alors devoir être retenue.
Quelle conséquence sur les contrats avec les éditeurs ?
La charte emporte également des conséquences qu’il est aujourd’hui délicat d’envisager pleinement dans le rapport contractuel avec les éditeurs et avec les scénaristes.
Vis-à-vis des éditeurs, la charte permet dorénavant de soutenir sans difficulté aucune qu’un contrat d’édition ne peut prévoir une cession de l’univers de la bande dessinée concernée, comme tel est bien trop souvent le cas, dès lors que l’auteur peut être rémunéré pour la reproduction d’un personnage issu de ce même univers et qui ne constituerait pas la reproduction fidèle d’une case de l’ouvrage.
Vis-à-vis des scénaristes, si le personnage reproduit en dédicace résulte d’une création commune au dessinateur et au scénariste, pourquoi réserver au premier le seul bénéfice d’une rémunération au titre du droit d’auteur et exclure le second d’une exploitation d’une œuvre de collaboration ? Lorsque les contours graphiques du personnage résultent bien d’une commune intention et d’une création commune, une exploitation séparée par le seul dessinateur, à l’occasion de séances de dédicace, ne semble pas permise sans autorisation du scénariste.
Le Ministère de la Culture a prévu une première période d’expérimentation pour une durée de trois années avec, au terme des deux premières années, une évaluation en vue notamment de la possible extension de la charte à d’autres festivals de bande dessinée soutenus par l’État. Une première extension au bénéfice des auteurs de livre jeunesse nous semble nécessaire à envisager.
Un article écrit par Me Alexis Fournol, Avocat à la Cour et Associé du Cabinet.
Dans le cadre de son activité dédiée au droit de l’art et au droit du marché de l’art, le Cabinet accompagne régulièrement des auteurs de bandes dessinées, ainsi que leurs ayants droit, aussi bien à Paris qu’en province ou à l’étranger.
Notre Cabinet a su développer une expertise particulièrement reconnue dans ce domaine notamment pour les successions de certains auteurs de bandes dessinées français ou belges et est notamment intervenu dans la toute première dation réalisée au profit de l’État français de planches et d’illustrations d’un auteur français de bande dessinée.