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Un cas de restitution d'une œuvre d’art spoliée lors de la Seconde Guerre mondiale

Le mécanisme de la prescription est-il susceptible de faire obstacle à la réparation des actes de spoliation effectués par le régime nazi ? Ce débat a récemment été soumis aux juges, qui sont venus préciser, à travers deux décisions, les règles de prescription en matière de biens spoliés.

Une gouache intitulée « La Cueillete », peinte en 1887 par le peintre impressionniste Pissarro (1830-1903), est en passe d’être restituée à une famille juive spoliée pendant la seconde guerre mondiale, soixante-quatorze ans après avoir été confisquée (1943) et vendue par un marchand d’art désigné par le Commissariat Général aux questions juives.

C’est, en effet, ce qu’a jugé la juridiction des référés du Tribunal de grande instance de Paris, le 7 novembre 2017[1], décidant de faire primer le droit de propriété des descendants de Monsieur Simon Bauer (1862-1947), industriel et collectionneur juif spolié, sur celui du couple de collectionneurs américains, détenant la toile du maître impressionniste, acquise pour 800.000 dollars chez Christie’s à New York en 1995.

Malgré l’annonce de l’avocat du couple américain de former appel, le jugement a néanmoins ordonné à l’Etablissement public des Musées et de l’Orangerie, de remettre l’œuvre aux descendants de Monsieur Simon Bauer. Le tableau était exposé à l’époque des faits au Musée Marmottan, dans le cadre d’une exposition consacrée au peintre.

Préalablement au dénouement de cette affaire, une ordonnance de référé du Tribunal de grande instance de Paris, rendue en mai 2017[2] avait ordonné le séquestre, c’est-à-dire une mise sous mains de justice du tableau, le temps de permettre aux héritiers d’assigner les époux Toll. En l’espèce, le référé s’imposait, ainsi que l’a retenu le Tribunal de grande instance en application des articles 808 et 809 du Code de procédure civile, qui dispose qu’« en cas d’urgence, même en présence d’une contestation sérieuse, l’existence d’un différend légitime le juge des référés, à prendre toutes mesures ». Or, un différend existait bien entre les héritiers de Monsieur Simon Bauer, estimant que la restitution s’imposait en raison de l’ordonnance de 1945 et Monsieur et Madame Toll, s’estimant propriétaires légitimes et de bonne foi du tableau.

Dans un second temps, et afin de revendiquer la propriété de l’œuvre, les héritiers Bauer se sont fondés sur l’ordonnance n° 45-770 du 21 avril 1945 portant deuxième application de l’ordonnance du 12 novembre 1943 sur la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle et ordonnant la restitution de leurs biens aux victimes de ces actes. En défense, les propriétaires américains estimaient que les délais pour contester la propriété de l’œuvre étaient expirés et qu’il « ne peut exister aucun litige sérieux sur la propriété et la possession » du tableau.

Le juge des référés devait donc se prononcer sur une demande de restitution, les héritiers Bauer souhaitant que soit ordonné la remise du tableau, alors sous séquestre judiciaire. À cet égard, le Tribunal de grande instance a ordonné une telle restitution, les dispositions de l’ordonnance du 21 avril 1945 étant applicables. Les victimes et leurs ayants droit peuvent donc faire constater la nullité des actes de spoliation, nullité prononcée de plein droit et sans que la prescription de droit commun (acquisitive ou extinctive) ne puisse jouer.

L’article 1er de cette ordonnance dispose, en effet, que : « Les personnes physiques ou morales ou leurs ayants cause dont les biens, droits ou intérêts ont été l’objet, même avec leur concours matériel, d’actes de disposition accomplis en conséquence de mesure de séquestre, d’administration provisoire, de gestion, de liquidation, de confiscation ou de toutes autres mesures exorbitantes du droit commun en vigueur au 16 juin 1940 et accomplis, soit en vertu des prétendus lois, décrets et arrêtés, règlements ou décisions de l’autorité de fait se disant gouvernement de l’Etat français, soit par l’ennemi, sur son ordre ou sous son inspiration, pourront, sur le fondement, tant de l’ordonnance du 12 novembre 1943 relative à la nullité des actes de spoliation accomplis par l’ennemi ou sous son contrôle, que de l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental, en faire constater la nullité. Cette nullité est de droit ».

 L’article 4 de ce même texte précise que : « L’acquéreur ou les acquéreurs successifs sont considérés comme possesseurs de mauvaise foi au regard du propriétaire dépossédé ».

Par ailleurs, le Tribunal a considéré que les héritiers Bauer n’étaient pas forclos et « ont satisfait aux délais de recevabilité de leur demande de six mois prévus par l’article 21 de l’ordonnance du 21 avril 1945 » de la demande en nullité puisqu’ils ont introduit leur demande les 27 et 29 août 1945. L’action des demandeurs ne nécessitait donc pas l’octroi d’un relevé de forclusion. Dès lors et en vertu de l’article 2 de l’ordonnance du 21 avril 1945, les ayants droit de Monsieur Simon Bauer peuvent demander la restitution de leurs biens, la demande en nullité ayant été constatée.

Enfin, le Tribunal a rappelé qu’il est de jurisprudence constante que la prescription extinctive ne court pas contre celui qui se trouve dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement quelconque résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. En l’espèce, la prescription n’ayant pu commencer à courir, les héritiers Bauer étaient dans l’impossibilité d’agir. L’ordonnance du 21 avril 1945 était donc inapplicable jusqu’au jour où le tableau est réapparu sur le territoire français. Le délai de prescription trentenaire a ainsi couru à compter du 23 février 2017 ; la prescription n’était donc pas acquise et ne pouvait être opposée.

Par Arthur Frydman
Stagiaire du cabinet entre octobre et décembre 2017

[1] TGI Paris, référé, 7 nov. 2017, RG n° 17/58735.

[2] TGI Paris, référé, 30 mai 2017, RG n° 17/52901.